MA JEUNESSE en BOURGOGNE en BRESSE et dans le PAYS BASQUE
Il n’y a pas une guerre mais des moments individuels vécus dans un mouvement général de peur, de panique d’évènements étranges, et on dit après coup, « c’était pendant la guerre » Peut être que ma guerre à moi a commencé en 1939 quand mes parents sont venus me retirer de la maison d’enfants à Hyères. La famille devait être entière face à l’imprévisible. Dans ma tête il y avait déjà le sentiment d’une menace.Mais déjà en 1936 déjà peut être j’avais eu peur en voyant à Licq passer les réfugiés espagnols. j’ai encore devant les yeux le défilé de ces ombres de femmes enveloppées dans des châles , de grands hommes aussi secs que leurs bâtons, des ânes, des moutons.Et leurs pas faisaient un bruit de grêle sur la route. Ils marchaient comme ces pèlerins des âmes essayant de franchir le Styx… et j’avais peur.
Quand en 1940, Maman m’a dit « il faut partir » je n’ai pas eu peur. C’était pour moi une aventure. J’allais chez ma grand mère à bicyclette. Il y avait pourtant une atmosphère bizarre. Marsannay était vide. Nous nous sentions abandonnés. Papa avait été « réquisitionné » On ne le reverrait pas avant quelque temps.
Le boulanger était parti, cela voulait dire, on n’aura plus à manger. Maman faisait de drôles de choses. Elle avait enveloppé toutes nos belles cuillères et les avait enfouies dans le tas de foin réservé à notre cochon. Elle préparait des pâtés qu’elle rangeait dans une petite malle en osier. Pourtant elle nous disait « on sera vite arrivés » Imaginait-elle qu’avec mes jambes de dix ans, bien trop courtes pour un vélo d’adulte, j’allais couvrir d’une traite soixante kilomètres ? On ne pensait qu’à une chose « Partir ».
Ma soeur avait reçu vélo neuf sans doute en récompense de son certificat d’études. J’héritais d’un engin à peu près semblable à celui de ma mère. On avait simplement abaissé au maximum la selle et le guidon. Le porte-bagages supportant paniers et baluchons. Des sacs pendaient au guidons. Et on se mit en route, après avoir lâché poules et lapins et cochons. C’était la débâcle ! Au début tout allait bien. On savait éviter les routes pleines de réfugiés, on prenait des petits chemins fleuris, des sentiers à travers bois. C’était comme une grande promenade jusqu’à Citeaux.
Et là, première surprise : La route était bloquée. Une foule s ‘était répandue dans la forêt. Une masse arrêtait notre élan. On ne passait pas… Des militaires eux-mêmes en fuite, essayaient de mettre de l’ordre, en vain. Je me souviens d’avoir reçu l’ordre de m’asseoir à côté de ma mère. J’étais déjà épuisée après une vingtaine de kilomètres que j’avais souvent franchis « en danseuse » car la selle n’était pas à la bonne hauteur pour ma taille. Et, j’avais soif. Je devais pleurer car un soldat se pencha vers moi et me tendit un verre de… champagne, que je bus ! j’avais soif. Mais lui en avait certainement bu plus par plaisir et par désespoir, il me regarda boire en rigolant.
Ma mère comprit vite qu’il fallait sortir de ce guêpier. Arriver à Seurre, passer le pont et débarquer chez grand-mère Mais un grondement sourd, la nouvelle se répandit vite, « ils ont fait sauter lepont, il faut lever le camp ». on se retrouva dans une masse de gens qu’on ne pouvait guère dépasser. On contournait des charrettes, des piétons, des militaires, en essayant de ne pas perdre de vue et Maman et ma soeur. Je me souviens d’un mouvement de panique où nous nous sommes retrouvées toutes les trois, dans le fossé avec nos précieux vélos et nos sacs. On entendait claquer au dessus de nous ce qui devaient être des balles de mitrailleuses. Ma mère se releva, nous remit sur la route, obliqua brusquement dans le sentier d’un petit bois. On ne s’arrêta que lorsqu’elle fut sûre qu’on était seules. Elle sortit d’un panier du pain, du pâté…et peut être un fruit. Je ne sais plus. Je crois qu’on y fit un petit somme, inquiètes. On entendait vaguement le bruit de grêle, des pas des réfugiés, la rumeur, les charrettes. Mais le sentier de terre n’était pas fait pour rouler, je ne sais pas pourquoi, brusquement le cadre de mon vélo se fendit à la hauteur du pédalier. Je ne pouvais plus m’en servir. Il fallait continuer à pieds.
Comment ma mère pouvait-elle connaître le chemin à prendre… dans les bois, sans traverser de villages, sans repaires, sans boussole. Elle devait sentir qu’il fallait longer la rivière car elle connaissait un autre pont, celui de Verjus où elle allait quelquefois chez notre oncle « l’Oncle de Verjus » précisément. Chez lui on pouvait faire une étape avant de traverser et d’atteindre Saint-Bonnet.
J’étais si épuisée que j’ai dû marcher en traînant mon vélo, comme une somnambule. Je ne me souviens que d’une chose d’avoir été portée dans un lit en plumes. On me dit que j’y restai deux jours sans me réveiller. Je ne me souviens plus du reste du parcours. J’étais livrée à ma grand-mère, ma soeur aussi. Ma mère était repartie à Marsannay récupérer sa maison, son jardin, sa basse-cour.
Ma grand-mère.
Je ne l’aimais pas. Elle ne devait pas m’aimer, mais me nourrir et me « dresser ». C’est cette notion de dressage qui pose problème. Comment cette grand-mère que tout le monde regardait comme la meilleure des femmes du hameau, qui avait toutes les qualités pour aider et soigner les autres, dont le jardin était le sanctuaire de toutes les plantes médicinales, malgré ses efforts ne parvenait pas à m’attendrir. D’ailleurs aucune femme de la famille ne m’a prise dans ses bras ou sur ses genoux. On ne m’a jamais consolée. Je serrais les dents et repartais.
Je comprends maintenant pourquoi je me sentais prisonnière : j’avais perdu mon espace. Il n’y avait que deux très petites pièces, certainement ajoutées à l’arrière du corps de ferme, prévues pour la grand mère devenue inutile avec l’âge.
Pourtant, si je fais le calcul en 1940 elle devait avoir un peu plus de soixante ans, ma mère en avait quarante. bref, la chambre ne contenait qu’un lit bressan, d'une place et demie, j’y couchais avec ma soeur.
une commode contenait les vêtements, elle sentait la naphtaline. Il devait avoir sur le dessus, une statue de la Vierge et une lampe à pétrole. Quant à la pièce principale,elle ne devait pas être plus grande. S’y entassaient un lit, un buffet, une table, une armoire et un poêle de fonte sur lequel on faisait toute la cuisine, sauf les jours de beau temps et hors période de jeûne où la Mélie faisait cuire un peu de viande sur un réchaud, une sorte de creuset de fonte où elle mettait quelques brindilles et quelques braises. J’étais gênée par cet entassement, moi qui avait l’habitude de courir, de jouer à la balle ou à la marelle dans la rue, d’aller explorer le village et les champs alentour pour grapiller quelques raisins ou chaparder des prunes. Des après-midi de pluie, il me fallait pendant un temps qui me paraissait inhumain être assise sur un petit banc, au pied de ma grand mère et jouer avec des bobines en bois, vidées de leur fil, maigre matériau pour créer des architectures. Vous me direz, mais il y avait, la cour, l’étable, le champ avec ses grands « cuchots » de paille, oui , mais je n’avais pas le droit d’y aller. J’étais, disait-on trop petite, trop vive ou indisciplinée pour courir l’aventure.
La seule sortie dans les champs alentours était d’aller glaner. Ma grand mère avait deux poules élevées avec les autres dans la grande cour. Elle les nourrissait avec ce qu’elle ramassait . Oh ces matinées de glanage ! Je la revois courbée, la main sur les reins retenait l’attache d’un tablier « un devantée » recourbé pour en faire un sac où elle enfouissait les épis dénichés dans les « éteules » qui me piquaient les mains et les bras . J’en avais vite assez. Je demandais « quand est-ce qu’on rentre , Mémé ? » Elle me disait « Yeune , yeune « glane, glane » Alors je courais au bord du champ à la recherche des épis oubliés par la faulx du moissonneur. Ils avaient encore leur tige , ça remplissait plus vite mon petit tablier. Et je voyais ma grand-mère qui continuait, continuait de glaner. Cet entêtement , cette opiniâtreté que je mets quelquefois à la tâche, vient sans doute de ce « Yeune , Yeune « qui devait être un jeu , une récréation utile et que je ressentais comme une contrainte supplémentaire. La pauvre femme se sentait responsable de cette « gamine , pas facile » tandis qu’elle laissait ma soeur jouer avec les cousins et cousines jouer toute la journée et ne revenir qu’à la nuit. Si bien que dans mes souvenirs , Georgette, avec moi ? possible, j’ai oublié.
Un autre point noir était la religion . Ma mère, comme sa mère récitait leur chapelet tous les jours et nous devions « faire nos prières » Passe encore , le plus terrible était la messe du dimanche . C’était amusant ce jour-là , d’être lavée dans la grande bassine en zinc , de mettre une belle robe et de partir pour Saint Bonnet. Trois kilomètres à pied, courir le long des buissons, cueillir des coquelicots et des marguerites. Découvrir des bleuets, parfois une prune tombée. Et parfois , la chance aidant , revenir du village dans la calèche de l’oncle Claude.
L’église sentait l’humide et l’encens. L’harmonium était poussif , les voix grêles mais ferventes. Mais mon intérêt était de courte durée et mes jambes commençaient à fourmiller. Je m’agitais, grand-mère s’agaçait. Ce n’était pas un lieu pour mes « gamineries » . Il fallait surtout faire bonne figure. Ne pas avoir honte de ne pas être à la hauteur d’une bonne éducation qu’il fallait inculquer de force aux enfants.
C’est ainsi qu’un jour, tout en vous parlant d’église, j’ai bien eu la honte de ma vie .C’était un peu plus tard, à Marsannay. j’étais à peine plus âgée . Je me trouvais à côté de ma grand-mère sur un banc de l’église . C’était à la messe du dimanche, mon amie Irène à proximité. Bonne occasion pour moi de faire des mimiques pour l’amuser, la faire retourner, créer un peu de distractions dans cet office qui s ‘éternisait. Tout à coup je me sentis soulevée, tirée fortement par le bras et traînée, oui traînée ou soulevée entraînée à travers la nef jusqu’au pied de l’autel, précisément à la table de communion, où ma grand-mère me força à m’agenouiller « pour dire pardon au Bon Dieu ». J’ai oublié comment se termina l’affaire mais ce que je n’oublierai jamais c’est le sentiment de honte. Un écrasement, le regard de ces grands hommes en noir avec leur missel. Ils continuaient à chanter et j’étais comme une victime sacrifiée. lorsque plus tard, on s’étonnait de me voir si fervente à « étudier Sophocle ou Eschyle », on ne pouvait imaginer comment ces héroïnes antiques étaient mes soeurs. Comment quelques instants, un jour, j’avais vécu leur désespoir. Non la religion n’était pas consolatrice. Si, au cours de la vie j’ai souvent, avec succès, imploré le ciel, c’est que j’avais confiance dans les forces qui me dépassaient, là où il n’y a plus d’images, plus de rites, plus d’esclaves soumises au grand Maître.
Pourtant il y avait dans toute cette liturgie des moments que j’aimais bien. Je ne manquais aucune procession, surtout les rogations. De temps en temps, il fallait demander au Bon Dieu de la pluie pour faire grossir la grume, et lui montrer, parcelle par parcelle que la terre était sèche qu’il y avait urgence à intervenir.
On déambulait donc à travers les vignes, curé en tête, entants de choeur en surplis, la bannière du village portée haute par un chanteur à la voix puissante. C’était une théorie joyeuse. Nous pouvions à l’arrière rire ou s’égarer légèrement pour cueillir une fleur ou attraper une sauterelle ou un papillon. Les gens à l’arrière parlaient d’ébroussage, de désherber, discutaient prix, tandis que les litanies haut chantées à l’avant nous parvenaient si adoucies qu’on avait déjà oublié qu’il ne s’agissait pas d’une simple promenade.
J’aimais une autre procession : celle de la fête-Dieu. Ce jour-là, j’avais une mission. Bien habillée, une jolie couronne de fleurs blanches dans les cheveux, je devais avec mes amies, dans le cortège, en rang, deux par deux, jeter des pétales de roses. J’allais dire à « la Divinité » tant cette cérémonie avait un caractère antique que j’ignorais mais dont le côté festif avait un goût païen. Car ce qui nous préoccupait ce n’était pas d’honorer la Vierge Marie, c’était de jeter des pétales de roses le plus haut possible et au bon moment.
Pour ce faire, la Bediote, entendez le Bedeau féminin, la Sacristaine en quelque sorte avait un talent certain. Placée à nos côtés elle orchestrait avec un gros missel noir. Au moment voulu par le rituel elle l’ouvrait et le fermait avec une telle brusquerie qu’un bruit sec éclatait, signal pour nous de saisir rapidement une poignée de pétales et de l’envoyer en l’air. je dis poignée et devrais dire pincée, car nous pendait au cou une petite corbeille de peu de contenance. Il fallait économiser le produit. On nous apportait bien vite de quoi continuer notre office. mais on pouvait aussi en manquer . « Manquer » voilà aussi le mot qui vous accompagne toute la vie… et si ça venait à manquer. Et toute sa vie on économise, on entasse, on s’embarrasse…au cas où on manquerait… de quelques pétales de fleurs à envoyer en l’air.
Il y eut aussi du temps de réflexion dans cette église. par exemple il y avait « le reposoir », le jeudi saint ou le vendredi. bref, le Christ était censé reposer dans la chapelle entièrement fleurie de blanc pour cette occasion. Et surtout il ne devait pas rester seul. Comme ma mère, comme d’autres paroissiens étaient occupés, elle nous chargeait Irène, mon amie et moi d’aller en quelque sorte monter la garde. L’église déserte, les cierges allumés, le décor, tout nous intimidait… on se demandait si le christ était vraiment installé sous ces fleurs, comme un jeune homme qu’on avait torturé et qui était mort ou allait mourir par notre faute. nous ne bavardions pas, on était dans une réflexion confuse et sans objet, mais qui ne durait pas car un claquement de porte nous faisait savoir que la garde remplaçante arrivait et que délivrées nous allions dévaler la rue neuve pour aller oublier et nous amuser.
Nous amuser, c’était l’essentiel, pouvoir nous amuser. Irène n’avait pas d’obligations, on disait « elle est gâtée , elle » tandis qu’on devait aller à l’herbe aux lapins ou aller cueillir des groseilles ou accomplir de petits travaux au jardin ou ailleurs. on ne jouait pas, exactement, on s’occupait. Un jour on s’est fabriqué des sandales avec une semelle en carton et des ficelles,un autre jour de longs colliers en enfilant une à une les fleurs de lilas, une autre fois des chapeaux avec de vieux journaux, on avait des velléités de broderie, de tricot. On imitait nos parents. Ils disaient alors qu’on était « sages» et nous récompensaient, au goûter qui le plus souvent était fait d’une tranche de pain et d’un morceau de sucre, se substituait une gaufre ou un cran de chocolat meunier, sauf pendant la guerre.
je me souviens que ma grand-mère m’asseyait devant un bol de lait ou une assiette de fromage blanc. si j’avais été docile elle consentait à me récompenser, exceptionnellement elle grimpait alors sur une chaise, en haut du buffet d’une pile de linge, elle sortait une longue tablette blanche de chocolat « au pelotari », une tablette que ma tante lui faisait parvenir du pays basque. mais cette tablette avait été si bien cachée, oubliée peut être que le chocolat avait pâli et pris un goût « de vieux » . il n’engageait pas à remercier . Et pourtant « elle l’avait gardé pour nous » Je n’étais pourtant pas ingrate. Même si vous donnez une bonne soupe à un prisonnier, elle n’aura jamais le goût de la liberté.
je crois que ma grand-mère se lassa aussi vite que moi et que ma tante Marie vint au secours de tous en décidant de m’emmener à Terrans, vivre avec mes cousins et trouver enfin un coin de paradis. Pourtant cette bonne grand-mère était une femme honnête, généreuse et pieuse. En matière de religion elle me laissa des images qui me remontent de temps en temps à l’esprit.
Celle, par exemple, d’une femme agenouillée , à côté de ma mère, leur grand chapelet à la main , récitant et priant devant la cheminée de ma chambre, plutôt notre chambre, car nous avions un lit pour deux, on avait dû nous offrir le mobilier, à une occasion extraordinaire, peut être la communion solennelle de Georgette. Elle avait un lit et une armoire à glace, ce qui était un luxe, signée « Crozatier meubles », identifiable à la guirlande de roses stylisée qui ornait ses angles. En face restait une ancienne cheminée de faux marbre qui servait de support à des souvenirs. Un vase en cuivre fabriqué par un poilu dans une tranchée de 1914, deux vases, d’un genre « gallé » ? décoré d’un feuillage ou d’un paysage assez confus. Au milieu de cet étalage, c’était une sorte d’autel d’où émergeait en premier une grande statue de la Vierge, un plâtre blanc barré d’une ceinture bleue, acheté ou offert lors d’un pèlerinage à Lourdes. Et dans un coin une petite icône en bois où on distinguait une autre tête de Vierge. Celle-là plutôt noire sur fond doré, un peu byzantine.
C’était la plus efficace, semblait-il, puisqu’elle l’appelait « Notre Dame du perpétuel secours » Ma mère et ma grand-mère en avait un besoin urgent car j’étais prostrée dans le grand lit, en proie à une maladie, peut être la scarlatine, que le médecin, en sortant avait qualifiée de »sérieuse » Les deux femmes prièrent sans doute longtemps puisque je m’endormis et guéris.
J’avoue que, lorsque dans la vie, j’ai eu de mauvais passages, j’ai demandé du secours là-haut, à une mère céleste charitable et qui se montra souvent efficace. Mais aussi reste ce fait étrange. La statue de la Vierge, la Vierge de Lourdes en plâtre blanc resta toujours à la place d’honneur dans la maison.
Je me souviens que le bombardement, le premier, du triage de Perrigny fut si soudain que ma mère nous tira du lit rapidement et nous blottit avec elle sous le chambranle de la première porte venue. Un type de protection que mon Père lui avait recommandée. Elle serrait contre elle la statue et priait à haute voix. Elle nous protégeait. Les Dieux depuis leur temple vivaient dans la cité. Leurs forces étaient prégnantes. Les Statues vivaient, Elles vous écoutaient, vous guidaient. Et notre Vierge de plâtre avait pour nous la même fonction. Je n’y avais jamais prêté attention jusqu’au jour où je tirais d’un placard cette Divinité, oubliée au cours d’un déménagement. Ce n’était plus qu’un morceau de plâtre désenchanté auquel il aurait été ridicule désormais de s ‘ adresser. Et pourtant c’était sans doute cela qui les avait aidés à supporter leurs vies souvent difficiles et parfois douloureuses.
Ma mère se détacha petit à petit de ses croyances, je ne le crois pas, mais de l’église, certainement. Elle ne compta plus parmi les bonnes paroissiennes. Au lieu d’aller à l’ouvroir broder les nappes pour l’autel, elle broda des trousseaux pour les dames de la ville. Cela lui rapporta ce qu’elle appelait « ses petits sous frais », mais ceci est une autre histoire.
A propos de broderies, ma mère « était réputée, elle avait le don, et ma soeur en a hérité. Elle était d’une habileté sans égal. Elle avait l’art de nous habiller comme des princesses avec presque rien. Nous en étions très fières, et elle encore plus que nous.
De tout cela j’ai pourtant gardé un mauvais souvenir. Celui où il a fallu m’habiller pour ma communion solennelle. La robe était certes très belle, mais elle avait été cousue pour ma soeur et j’étais beaucoup plus grande qu’elle, au même âge ; la jupe d’organdi blanc m’arrivait à peine aux mollets, le bonnet s’emboîtait mal dans mes cheveux touffus, à côté de mon amie Irène, si jolie dans sa robe neuve, j’avais l’air dégingandé d’un épouvantail de jardin. Et surtout...surtout les chaussures, Ah ! les chaussures, pendant la guerre, quelle histoire !
Les familles des communiants avaient droit à une paire, nous avions reçu le bon. La mère d’Irène était allée au magasin recevoir de jolies ballerines blanches qui complétaient parfaitement sa tenue de princesse d’un jour. Ma mère, esprit pratique, n’aurait jamais acheté d’aussi éphémères souliers d’un jour. Elle m’avait apporté des tennis blancs en toile, capables de tenir au moins tout l’été. Avec mes grands pieds et ces chaussures de sport et ma jupe à mi-jambes ma journée fut gâchée…loin d’être bénie. Elle m’éloigna complètement ds bienfaits de la cérémonie. Certes ma mère, malgré les restrictions avait fait un succulent repas, mais il n’effaça pas la honte dont je me souviens encore.
Lorsque j’ étais chez ma Tante, à Terrans, la religion ne se pratiquait que le dimanche et encore à tour de rôle. Mon Oncle allait pour les fêtes, mon cousin ou ma cousine le remplaçait pour les messes ordinaires. Je crois que je n’ai jamais vu ma Tante s’apprêter pour prendre le chemin de l’ église. Car le dimanche, il fallait faire le beurre, s’occuper du repas et des bêtes. Un seul pouvait s’endimancher et représenter la famille devant l’autel.
J’aimais regarder l’adoubement de mon Oncle. D’abord il se lavait, à l’eau chaude dans une cuvette de zinc, puis se rasait soigneusement devant une petite glace rectangulaire fixée par un clou au chambranle de la porte. Marie lui déposait ses vêtements, toujours noirs avec la chemise blanche, sur une chaise. Il mettait tantôt une casquette, tantôt un chapeau et partait à pied à l’église emportant parfois une miche de pain, quand c’était à notre tour d’offrir « le pain bénit ».
Nous, nous devions faire le beurre. Je dis nous, car j’avais un rôle à jouer. C’est moi qui démarrais la baratte emplie de crème. Je tournais la manivelle tant que le mouvement était encore facile. Dés que la crème « prenait » c’est mon cousin qui prenait la relève. Ma Tante surveillait de loin, au bruit, elle savait si le beurre était fait. Elle vérifiait en soulevant le couvercle, jugeait de la qualité et nous congédiait. Mais j’aimais rester auprès d’elle la voir plonger les mains dans la cuve, sortir une boule de beurre, la former avec ses mains, après la peser et la déposer dans le moule en bois, le nôtre avait pour fond un dessin de marguerite , et quand elle l’ouvrait, il y avait un beau pain qu’on enveloppait dans un papier et rangeait soigneusement dans le grand panier en osier qui partirait bientôt à Pierre ou à Saint Bonnet pour le marché.
Le dimanche, ce n’était pas moi qui gardais les vaches . Elles étaient au repos dans le pré derrière la maison. J’étais libre et allais m’amuser dans ce que Poil de Carotte appelait son « toiton ». Mon petit domaine, c’était quelques mètres carrés qui surplombaient la chambre à four, sous le toit. J’y grimpais par une échelle pour y retrouver mon trésor, un petit monde de cailloux, de noisettes, de fleurs à demi séchées et d’images d’Epinal ou encore une balle, des osselets, un vieux tapis pour y dormir. Mais je pense, qu’ainsi perchée je m’amusais surtout à regarder ce qui se passait dans la cour. Tonton menait boire le cheval dans l’auge, ma Tante jetait du grain aux poules, essayait de ramener les oies qui filaient sur la route, Denise qui sortait du jardin avec son panier de prunes…etc L’activité de chacun était un vrai cinéma. Mon cinéma du dimanche.
Parce que les autres jours, j’étais au champ des vaches. J’allais avec les autres enfants du village surveiller notre troupeau dans les prés communaux. Ils étaient proches, un kilomètre tout au plus, mais hors du village, un vrai espace de liberté. On y allait de grand matin, lever rapide, déjeuner rapide, les bêtes que Marcel détachait pour moi sorties de l’étable, attendaient dans la cour, le temps que je saisisse le sac de toile ou le petit panier qui contenait le repas de midi. Car nous restions toute la journée dans les pré. Vers cinq heures le soir, les bêtes remontaient d’elles-même et s’attroupaient vers le chemin de sortie et pouvaient rentrer seules jusque dans l’étable, à leur place car elles voulaient qu’on les traie. Sur le chemin, aucun obstacle, seulement quelques fleurs , le long des potagers…Si bien que c’était en rêvant que chacun se laissait guider par son petit troupeau.
Sauf, un jour dont je me souviens bien ! une de mes vaches qu’on appelait « Cuchot » fit un brusque écart, se dirigea vers la haie de la maison des « Demoiselles Machin » et arracha le drap blanc qu’elles avaient étendu au soleil pour le faire sécher. Vous ignorez peut être que certaines bêtes aiment manger les torchons, au point de se laisser étouffer et il me fallut tirer de toutes mes forces pour extraire l’objet du délit que je laissai dans l’herbe, en rejoignant la troupe, en cravachant la voleuse.
Une fois au pré, nous étions libres. Il y avait parfois une jeune fille plus grande . Elle se tenait plutôt à l’écart , vers la rivière , elle tricotait. Elle fut bien utile le sour où voyant quelques grenouilles à pêcher, je m’avançai dans la vase, tombai et en ressortis si baveuse que j’allai tout de suite à l’abreuvoir quitter tous mes vêtements et endosser une espèce de grand tablier noir qu’elle me donna pour que je puisse rentrer à la maison. Personne ne me gronda. On ne me faisait jamais de reproches. On s’amusait de mes bêtises.
J’étais libre. Jamais je n’ai ressenti autant le sentiment d’être avec l’air, la nature, l’eau, même au sommet des montagnes. Quand arrivé en fin de course, Celui qui a fait l’effort d’arriver au sommet, écarte les bras, respire à grand bruit et s’émerveille, Il récompense sa propre peine. Pour moi ça a été « trop cher payé ». Tandis que dans les prés la liberté était donnée. Qu’en faisions -nous ?… Rien, peu de choses, on parlait, on riait, on s’amusait, on mangeait, on dormait… on inventait des jeux, par exemple celui qu’on appelait « la pie qui vole », à tour de rôle on grimpait dans un saule choisi pour ses longues branches flexibles. On s’accrochait le plus possible à l’extrémité et se laissait parachuter au sol. Je ne sais pas comment on distinguait et récompensait le meilleur.
On créait des objets avec les joncs de la rivière, en les tissant, cela ressemblait parfois à une chèvre. C’étaient des «biquettes » qu’on alignait en troupeau, comme d’autres enfants jouent avec des petites autos ou leurs soldats de plomb.
Les vaches ? elles broutaient, on ne s’en préoccupait que le soir. Si elles ne remontaient pas assez vite, on envoyait le chien. Le mien était une chienne « la belone » si intelligente qu’elle me gardait certainement, moi aussi. Un soir, mes vaches ne sont pas apparues, il était temps de rentrer à l’étable et rien à l’horizon. Pas très fière, je fis le chemin tête basse jusque dans la cour, où m’attendait mon cousin, en riant. Les bêtes étaient à l’étable, en train d’être traites. Par où étaient-elles passées ? Et bien par le village voisin, car les prés étaient des communaux, ils n’avaient pas de frontières. Les avaient-on guidées ? Avaient-elles suivi un autre groupe ? .Tout cela montrait bien qu’elles nous gardaient autant que nous les gardions, et qu’au sentiment de liberté s’ajoutait celui de sécurité. Toutefois un adulte venait de temps en temps vers midi voir « ce que nous faisions ».
A jouer à saute-moutons, à sauter à la corde, il y eut certainement quelques entorses et bien des égratignures mais rien de tout cela ne m’est resté en tête. Quand, bien plus tard, je suis retournée « au pré ». Il m’a paru petit, nu, la rivière n’ était qu’un filet d’eau, l’abreuvoir surtout entouré d’un sol si piétiné et si noir que je me demande toujours comment nous faisions pour y accéder.
La guerre finie, tout changeait . Les vaches restaient à l’étable, la traite était mécanisée . On achetait le pain, le beurre. Fini le temps où je voyais ma grand-mère en chemise blanche penchée dans le pétrin et travailler la pâte en de grands gestes lents et mécaniques qu ‘elle menait dans le pétrin en se déplaçant de gauche à droite, en roulant ses bras tout blancs de farine. Finies les odeurs de tarte qui sortaient du four. Mon « toiton » avait disparu, l’auge aussi, la chambre à lait, l’écrémeuse. On avait une cuisinière « lacanche » et un frigidaire ! . Il restait bien l’odeur du lait et du fumier, mais on l’oubliait vite pour ne sentir que la bonté. Ma Tante était bonne, Ces gens étaient pour moi, une vraie famille, ma famille.
Une autre Tante, ma Tante Marthe a joué un grand rôle pour moi, mais dans un registre différent. La Tante Marthe dite « Taty Marthe » était une des trois filles de ma grand-mère, si pieuse qu’elle les avait nommées Marthe, Marie, Madeleine.
Marthe, l’ainée décidée et forte accomplissait les grands travaux de la ferme. Marie plus douce, l’intendance et Madeleine, ma mère, « de santé fragile » m’a t’elle dit, n’allait pas dans les champs, elle brodait des trousseaux et devait ravauder le linge . Elle resta toujours très adroite dans ce domaine. Il faut dire que le trousseau c’était la plus grande affaire pour les filles à marier. Acheter et choisir le tissu étaient prévus toute l’année.
On économisait, sou par sou et on payait pièce par pièce le jour où le marchand de « pattes ? » venait déballer dans la cour ses cotonnades et ses bobines de fil. Aux filles de les transformer en merveilles, le plus souvent copiées sur « l’écho de la mode », la revue et peut être la seule qui entrait dans la maison.
Y avait-il une autre source d’information ? Sans doute puisque cette Taty Marthe apprit qu’une autre vie était possible et qu’on pouvait sortir de sa campagne et travailler en devenant secrétaire ou dactylo grâce au cours Pigier... et par correspondance ! Elle décrocha un diplôme et une offre d’emploi à Lyon. Je ne sais dans quelles conditions se fit le départ. On m’a simplement raconté qu’elle alla un jour se reposer sur un banc dans le parc de la Tête d’or, qu’elle y rencontra Tonton Georges et qu’ils se marièrent.
Ma mère, en épousant son forgeron-ajusteur rêvait certainement d’une si belle vie, mais elle n’avait pas la même étoffe que sa soeur ainée.
On disait de Marthe qu’elle était une forte femme, une femme de caractère, un tyran pour ses servantes et les ouvrières de l’usine…toujours en train de contrôler, d’entreprendre, de décider. Pour moi, c’est la seule personne dont j’ai accepté l’autorité avec un mélange de crainte et d’admiration. Je la trouvais juste et quand elle houspillait les servantes, comme lorsque, brosse en main, elle leur montrait comment on doit cirer des chaussures, je sentais qu’elle agissait bien parce qu’elle avait promis de les former pour leurs futurs employeurs.
Evidemment j’étais privilégiée, elle était ma marraine et avait toujours pris ce rôle au sérieux. Elle ne manquait à aucun de mes anniversaires et me prenait chez elle pendant les grandes vacances scolaires. Je crois aussi qu’il y avait des points communs dans nos caractères : un mélange d’autorité de bienveillance. Un sens d' « aller de l’avant », trouver des solutions , gérer les problèmes , assurer le quotidien, recevoir, économiser, donner. Oui, elle était généreuse. Et comme mes propres défauts, je ne voyais pas les siens.
Sur une des premières photos que prit mon Père, je suis dans une poussette, une couronne de fleurs sur la tête et toute la famille est autour. Georgette et sa cousine sont aussi parées. Je devais avoir à peine deux ans . Souvenir très vague…mais certains épisodes me sont restés en mémoire.
D’abord le voyage ! mon Père était employé au P.L.M., entendez Paris Lyon Marseille, voyageait gratuitement et avait des permis gratuits pour sa famille. Sur les autres réseaux il devait avoir, sans doute, une ristourne qui nous permettait de partir, tous, dans le même wagon et après bien des changements jusqu’à Mauléon. Là mon Oncle qui avait une voiture et la camionnette de l’usine avec son chauffeur, venait nous prendre et nous conduire à Licq.
Je me souviens surtout du trajet qui durait plus d’une journée. La nuit, ma soeur et moi couchions dans le filet à bagages au dessus de nos parents. Quant aux sacs et paniers, on les rangeait sous la banquette, souvent sous les grandes jupes noires de ma grand-mère. C’est elle qui aux heures des repas sortait du grand panier d’osier rectangulaire, poulet, fromage, fruits et gâteaux que ma mère avait préparés. Sans parler de la bouteille Thermos qui gardait le café. Ce trajet me semblait interminable, même si mon Père l’égayait de commentaires « là on va changer de train, préparez-vous ». Là ils sont entrain de mettre une seconde machine parce qu’il faut grimper le plateau de Lannemezan. « Je vais demander au chef de train si on peut aller voir en première » etc etc, les grands somnolaient, nous on dormait. On devait jouer…à quoi ?
Quand j’étais si petite, trois, quatre ans, je restais souvent aux mains de la Bonne Edmée, Aimée, une fée merveilleuse qui me prenait sur ses genoux et me couvrait de caresses, me réservait ses meilleurs gâteaux, me servait en sorte de Maman, car elle était chargée de me surveiller. Le grand danger était l’eau. Le Gave qui courait derrière la maison et le petit canal qui, devant, apportait l’eau à la turbine chargée d’apporter l’électricité à l’usine. On m’a souvent raconté le drame dont j’ai été responsable et qui pour cette nounou fut peut être un traumatisme indélébile.
La vie à Licq était bien différente de la nôtre. « On vivait bien ». Les revenus de l’usine et la gestion rigoureuse de Taty Marthe permettaient de nous recevoir richement. C’était dans l’air du temps, on faisait des excursions, des pique-nique, du tourisme, à Lourdes pour la grand-mère, à l’océan pour les enfants « qui devaient au moins une fois, voir la mer » Sans négliger les affaires, car on y allait aussi voir les clients, les hôtels qui achetaient le linge de table basque.
On avait donc ce jour-là loué des ânes et un guide pour une excursion pour tous, sauf pour moi, jugée trop petite pour passer une journée sur un âne et on me laissa seule avec Aimée. Quand les promeneurs descendirent des ânes, ils se hâtèrent de déposer les fleurs et les paniers pour venir se rassembler autour de la table qu’Aimée finissait de dresser. Ma mère s’aperçut tout de suite que je n’ étais pas là . pendant quelques minutes elle me chercha. J’avais pris l’habitude de me cacher sous la table pour éviter le martinet. Ne me voyant nulle part, elle interrogea Aimée qui s’affola aussitôt . Puis ce fut la consternation , puis une explosion soudaine, une sorte de panique « mais où est-elle ? . Ma Tante prit aussitôt le commandement de l’opération, les femmes, les enfants devaient fouiller partout, tandis que les hommes devaient aller sonder le canal devant la maison . On ouvrit même la porte du chenil. pendant ce temps là, on criait mon nom à la cuisine , au salon, au bureau, en vain . Jusqu’au moment où surtout par curiosité j’ai entrouvert la porte du placard. Je m’y étais réfugiée. C’était un vaste meuble dont le bas contenait parfois de gros sacs de farine ou de grains. Puisqu’ils étaient allés voir un ermite dans la montagne, ils avaient dû en parler en ma présence . Un homme qui restait dans une sorte de cabane , en attendant qu’on aille le voir, c’était intéressant. J’avais toutefois emporté dans mon logis deux bananes. L’imagination m’avait amenée là .Tout le monde était si content de me tirer de ma cachette qu’on a dû oublier de me donner la fessée. Ma soeur qui me rappelle les faits ne me le dit pas.
Mais c’est beaucoup plus tard que Licq fut un vrai refuge pour moi. Il y eut des vacances heureuses et riches d’expériences. Celles où ma Tante imagina de réunir en une seule fois tous les cousins. Nous avons alors formé une bande sur le mode du scoutisme ambiant. Robert étant l’ainé était le chef responsable. Nous avions à disposition la camionnette de l’usine et son chauffeur. Tous ses plans avaient été soigneusement envisagés par ma Tante. Robert devait rendre des comptes. Au début on se contenta d’explorer le torrent derrière la maison, puis le pré devant dont la pente était si abrupte qu’elle permettait de fameuses glissades. On allait en chantant jusqu’au village ou au village voisin, pour le simple plaisir de marcher et de rigoler ensemble. Le dimanche après avoir écouté la messe, on a fait une grande partie de pelote au fronton, derrière l’hôtel avec le curé, Nous les filles aussi, Nous étions plus intrépides que les garçons.
Cela nous l’avons prouvé lors d’une expédition aux gorges de Kakoueta. Nous étions partis pour la journée touristique sous la houlette de Robert. Il s’engagea dans le défilé, dans le torrent sans penser que nous étions petits et que les trous d’eau étaient profonds et le courant très fort. Les tourbillons nous mouillèrent jusqu’au cou . je crois qu’il eut très peur et nous aussi. Il se peut que l’itinéraire prévu n’ait pas été respecté Personne n’en dit mot.
C’est toujours sous la haute responsabilité de Robert qu’eut lieu l’expédition à Lourdes : Ce devait être le clou des vacances. Je me souviens seulement d’être accueillie avec toute notre petite troupe au dernier étage d’un grand hôtel, garçons d’un côté, filles de l’autre. Le reste m ‘a échappé. On a dû nous dire d’aller prier à la grotte, avec Robert qui avait toujours son missel sous le bras , Il voulait entrer au séminaire. j’ai dû acheter une médaille en fer blanc et quelques images pieuses. Ce genre de vacances en ville ne m’intéresserait que plus tard.
Quand je fus plus âgée, vers 17 ans, j’ai apprécié de sortir en ville avec ma tante. je me souviens d’un week-end à biarritz. Elle m’avait acheté une robe, une première pour moi qui confectionnait avec ma soeur tous mes vêtements. Je me revois au casino, sur la terrasse, au moment où elle me tendit ma première cigarette, une Craven et un long étui pour la fumer avec élégance. Elle se détendait pendant que sans doute son mari parlait affaire avec un responsable de l’hôtel.
Je me souviens d’avoir assisté à une corrida dans les arènes de pampelune et même d’être allée avec mon Oncle dans la rue d’un village écouter une chanteuse espagnole dont la voix était aussi célèbre que sonore et pour laquelle nous avions fait aussi le voyage. J ’aimais ces moments où j’étais seule avec ma marraine, je me sentais reconnue, choyée enfin digne d’intérêt. particulièrement les heures où quittant la gare de Mauléon, la voiture atteignait la montagne, j’arrivais dans un autre monde. J’y étais attendue.
A peine mon petit bagage saisi par la bonne Maïté, ma Tante m’amenait à la salle de bain. J’en sens encore l’odeur, un mélange de Cologne et de bébé cadum, une douceur enveloppante au dessus de la grande et large baignoire blanche, vite remplie d’eau chaude, chaude comme les serviettes qui m’attendaient sur un tabouret. J’avais certes besoin de me faire propre après un voyage en train avant de passer à table. N’oubliez pas que les motrices étaient à charbon et en plus j’aimais rester dans le couloir, les fenêtres à moitié baissées.
Est-ce que je voyageais seule ?, je crois, je ne me souviens pas de qui pouvait m’accompagner.je me souviens seulement d’avoir pendant de longues heures, dans le couloir, tout en regardant le paysage, parlé avec un curé espagnol, en latin. la conversation devait certainement être très succincte mais elle était à coup sûr très amusante.
J’ai eu la chance de voir vivre la maison de Licq et d’y vivre dans une atmosphère de liberté et d’amour…On dit que Taty Marthe faisait peur à tout le monde… Moi, je la rêvais toujours sous un autre angle. J’aimais cette maison pour son odeur, celle du bois ciré. Tout était en bois et tout était ciré chaque semaine. La cuvette des toilettes était en bois ciré, comme la porte, la fenêtre. Je revois le Gave que je regardais couler en contrebas le long du potager, les murs blancs. Je rêvais et on m’appelait et je revenais dans la grande salle toute entourée de placards cirés eux aussi, comme les bancs sur lesquels on s’asseyait sous le manteau de la cheminée. Le salon sentait aussi le propre avec une petite pointe de curaçao qu’on y sirotait.
Même le bureau avait son odeur, mais là je ne pénétrais que rarement, c’était le domaine de la machine à écrire et des liasses de papier dont s’occupait ma Tante. Mon Oncle s’occupait de l’usine. Je le voyais quelquefois marcher rapidement, l’air préoccupé jusqu’à la turbine, une sorte de vaste grange en bois. On y entrait par un vieux pont de bois qui enjambait le canal d’arrivée d’eau et que nous ne devions franchir sous aucun prétexte. Nous n’avions pas le droit d’entrer dans l’usine. D’ailleurs quand après l’avertissement de la sirène, les portes s’ouvraient pour déverser le flot des ouvrières, nous ne devions pas rester dans la cour.
Au réfectoire, nous n’allions que le dimanche, s’il pleuvait pour jouer « au cochon » une table de bois percée de trous dans lesquels on lançait de gros jetons de métal. A moins qu’avec une Bonne nous allions mettre des légumes ou des fruits dans des cagettes. Mais c’était ma Tante, elle-même qui allait tirer d’une grande jarre en grès les morceaux d’oie ou de canard confits. Pendant les restrictions de la guerre, ici c’était Byzance !
L’usine était une ruche si bruyante que au moment où on ouvrait les portes, on courait s’enfermer dans la maison. Et pourtant les ouvrières n’avaient pas encore des cache-oreilles, elles s’interpellaient en criant. Ce qui était rare car elles ne quittaient pas des yeux le mouvement des navettes autant que les fils de trames, toujours dans la crainte qu’un noeud se forme et que « l’éplucheuse » sanctionnerait. j’ai bien tenté de travailler avec une aide, c’était impossible. J’aurais pu être davantage utile à l’atelier, on y ourlait les nappes, les serviettes à la machine. Aucun morceau de tissu n’était perdu . Les plus petits étaient transformés en serviettes à thé ou en pochettes. Ma Tante y allait régulièrement pour initier les commandes et surveiller. Mais le même travail pouvait être fait « en extérieur ». J’aimais aller avec mon Oncle porter et chercher dans des fermes éloignées une grosse pile de serviettes fraîchement confectionnée. ça sentait le « bon linge ».
Un jour, ma Tante me jugea capable d’aller à Aux, à quelques kilomètres, porter, je crois, un message. Je partis à vélo, peinant un peu sur un sol caillouteux, Cela sentait si bon, le chemin humide où poussait le serpolet, la marjolaine, les clochettes bleues, la mousse et les buissons tout luisants…A l’arrivée, il me fut facile de trouver la maison. Maté la fille ouvrit la porte et m’embrassa , toute contente de me voir et appela son père qui presque intimidé de voir une demoiselle « labrosse ». On me fit asseoir sur un escabeau. Le sol était en terre battue. Cette salle toute sombre, ce sol, ce hameau enfoui dans le silence me mettait mal à l’aise. Mais avant de partir, je vis le Papa de Maïté m’apporter un verre et d’une bouteille verser un liquide ambré. C’était du rhum. Comme je n’osais pas refuser , je le bus. Des premières minutes, sur le chemin du retour, il ne se passa rien, mais bientôt sous l’effet de l’alcool, le chemin devint plus caillouteux, plus sinueux, il allait même frôler le petit cours d’eau d’à côté. Je posai le vélo, m’assis dans l’herbe, jolie cellule de dégrisement. Quand à l’arrivée je racontais mon aventure, ma tante ne s’étonna pas « Ils boivent tous comme des trous » me dit-elle.
La vie dans le village n’était pas facile. Toutes ces femmes en noir travaillaient autant que les hommes. Si la fille ou le garçon pouvait travailler à l’usine ou à l’hôtel, c’était une bonne affaire. Peut être trouvaient-ils un secours dans la religion car le dimanche l’église était pleine. Les Femmes étaient en bas, ma tante figurait au premier rang. Elle posait une mantille noire sur ss cheveux et nous emmenait à pied. Nous avions des mantilles blanches ou noires selon une sorte de calendrier liturgique qui m’échappe.
les hommes assistaient à la messe, depuis la galerie qui, en hauteur, faisait le tour de la nef. C’est là que montait Robert. Je ne sais pas s’il parlait assez le basque pour participer au choeur tonitruant de cette tribune. Nous, nous savions quelques phrases de cantiques qui nous permettaient de faire acte de participation.
la cérémonie terminée, il n’était pas rare de faire une halte à l’hôtel saluer la « Tante Agathe », prendre un apéritif ou ramener une ou deux palombes pour le repas. Pendant les palabres on descendait derrière le fronton regarder ceux qui jouaient à la Palla, s’y mêler au besoin. Que faisait ma soeur ? Elle était là, avec ma cousine, des « grandes » pour moi. Elle a certainement d’autres souvenirs… Elle n’aimait ni l’autorité ni les manières brusques de ma Tante qui s’amusait peut être de ce caractère trop sensible, trop malléable. Elle aimait se battre contre cette Tante qui lui faisait peur.
Quand, maintenant, je la vois, apeurée , réagir devant sa propre fille, ma soeur fait surgir des images de cette période. La Tante Marthe réapparaît avec son rire, son sens de l’accueil, sa générosité et aussi son côté si franc qu’il en est cassant… Une femme d’affaires, oui , des Femmes d’affaires. C’était Marthe et ma mère Madeleine, pendant ce temps-là, je l’oubliais.
Marthe, Marie si simple et Madeleine si compliquée. Elle aurait bien voulu réussir comme sa soeur, Elle essaya de régner sur une usine : un empire de poules, de lapins, de jardins, de linges à broder, de petits sous à compter avec la même générosité que ses soeurs , mais ne sachant sans doute pas se contenter de ce modeste succès.
C’est à ces trois soeurs que je dois pourtant de connaître quelques fleurs et quelques plantes.
MON HERBIER
je passe sur le jardin des Simples qu’entretenait ma grand-mère, dont elle faisait tisanes et cataplasmes pour tout le hameau, Je parlerai plutôt de mon émerveillement et des jours passés à feuilleter l’herbier de Monsieur François. Mademoiselle, sa fille Institutrice nous avait offert ce trésor : l’Herbier de son Père .
C’était un gros album de feuilles épaisses et grises sur lesquelles il avait collé des plantes séchées avec en regard, le sujet dessiné de sa main. Plus fascinant pour moi qu’un livre d’images. Il a disparu ce chef d’oeuvre, où ? Pourquoi ? par négligence ? Je le regrette, mais dans ma tête, il est toujours là. je vous livre pêle-mêle mon herbier à moi, mes plantes.
LA VIOLETTE
Dés la fin de février, la neige ou la simple gelée blanche qui avait recouvert les herbes sèches, sur les remblais, le long de la ligne du tram, en allant vers Chenôve, s’en allait par petites plaques en laissant entrevoir déjà quelques pousses printanières. Alors nous allions aux « violettes ». On les dénichait, mon amie et moi. Elles étaient encore mal dépliées, toute frileuses. Et nos doigts avaient froid aussi. Mais on pouvait en tirer quelques unes, des violettes, bien sûr, mais aussi des bleues plus pâles et par chance, aussi des blanches. Un tout petit bouquet qu’on allait vite placer dans un petit verre à la maison.
Mais elle me rappelle une histoire qui me fait encore sourire. A sept ou huit ans , on a des amoureux ou tout au moins des soupirants. A mon insu, j’en avais un. J’étais assise, dans la rue, sur un rebord de cave, quand je vis courir à moi un garçon que je connaissais peu car ses parents ne lui permettaient pas de « courir les rues ». Et en une minute, il déposa sur mon giron un bouquet de violettes et s’enfuit à toutes jambes, comme un voleur . Cela a dû me surprendre ou me toucher puisque je m’en souviens encore. Je restai indifférente… d’ailleurs « il n’était pas des nôtres ». S’il vit encore, je lui présenterais mes excuses.
Un autre, auprès duquel, je dois aussi m’excuser. Un garçon de mon âge, m’avait sans doute remarquée puisqu’il m’aborda aussi vite et furtivement dans la rue de la ferme où chaque soir, à la même heure, j’allais, mon petit seau à la main, chercher le lait de la première traite. Il me mit dans la main un morceau de papier, plié en quatre. Je le lus à la maison. Sidérée ! il y avait une faute d’orthographe, ce devait sans doute être un « je tème » qui me révolta !. Quand le lendemain, il envoya un copain tâter de mes intention . Je me revois lui dire avec morgue « ah non, il fait des fautes d’orthographe ! ». J’en ris encore…de ma bêtise, de mon inconscience. Comment excuser maintenant ce mépris… Ah ! le pouvoir de l’orthographe.
LES PERCE-NEIGE, LES JACINTHES BLEUES
Dés que le soleil se faisait plus chaud, nous allions assez loin du village, aux sapins du Garde. Nous enfoncer dans le bois nous faisait peur. Souvenir de petit Poucet ou du Chaperon rouge. On y allait à plusieurs. C’est d’ailleurs à l’orée qu’on découvrait les premières clochettes blanches des anémones, des gouttes de lait et de temps à autre la tige du sceau de Salomon égrenant ses dents de lait, au milieu des petites jacinthes bleues. Tout était bon pour faire un bouquet, le plus gros possible. les plus futés savaient découvrir les feuilles rondes et luisantes du « patchouli » c’est ainsi qu’on appelait le parfum de cette plante qu’on frottait entre nos mains… Il nous est arrivé, pour jouer notre rôle de princesse, de revenir au village, couronnées et ceinturées d’une très longue tige de lierre rampant. Notre majesté s’oubliait vite et abandonnant bouquets et traîne de cérémonie, on rentrait en courant à la maison.
Une fleur plus rare à découvrir était la « CANCOUANE » nom curieux pour une simple anémone velue et violette qui se cachait dans les herbes sèches sur la colline. Elle était l’objet d’une sortie spéciale. Avec l’intention de n’en rapporter qu’une poignée qui était alors exposée dans un vase, sur la table de la cuisine.
Les perce -neige étaient plus difficiles à découvrir, souvent on se contentait de les avoir trouvées. Ce qui nous attirait encore, c’était le Coucou ou « banichon », autrement dit la Primevère jaune. Avec sa tige un peu longue elle pouvait être tressée ou conservée assez longtemps. Mais l’usage qu’on en faisait était tout autre. On suçait l’extrémité des fleurs qu’on détachait une à une, c’était sucré comme un bonbon.
Ah ! ces bonbons. Déjà une addiction. Nous cherchions toujours comment avoir un bonbon. A la maison ils étaient très rares. Ma mère n’en achetait pas. Si quelque personne charitable en avait apportés, on ne savait pas où ils étaient cachés. On devait donc avoir d’autres stratégies pour s’en procurer.
la première consistait à passer peu avant l’école, chez deux vieilles demoiselles. On montait quelques marches d’escaliers et on se postait sur le balcon devant leur porte de cuisine. un peu comme deux moineaux viennent à la recherche de quelques miettes de pain tombées d’une nappe qu’on vient de secouer après le repas. Ces deux femmes avaient compris et pour nous remercier de notre visite, nous mettaient dans la main un bonbon à la fraise ou à la framboise. on disait « merci » et courait vite pour être à l’heure à l’école.
Notre audace ne faisait que croître. Qui nous avait donné l’idée de « gagner des sous » pour acheter ces fameux bonbons ? On avait remarqué, avec Irène, que si on frottait une bogue de marron, tombé de l’arbre, elle brunissait, devenait plucheuse, ressemblait alors à une petite éponge, de couleur foncée qui pouvait ressembler à un vague produit ménager. Nous voilà donc à fourbir nos marrons, à les ranger dans une boîte, à chercher un acheteur. Pourquoi avons-nous atterri chez deux vieilles femmes ? Parce qu’elles devaient avoir une très mauvaise vue et que dans leur cuisine on y voyait goutte ! Effrontément on leur expliqua qu’on vendait, pour la coopérative de l’école, des éponges capables de nettoyer les casseroles. Elles nous donnèrent une somme modique qu’on employa toute suite à acheter des bonbons.
On allait pour cela chez la Renart. C’était le nom de l’épicière. Je ne sais plus ce qu’il y avait dans sa toute petite boutique car nous n’avions d’yeux que pour les grands bocaux exposés à l’entrée. L’un contenait des rouleaux de ruban de réglisse et l’autre des caramels. Ces derniers avaient un avantage supplémentaire. Certains étaient « gagnants » dés que ce mot apparaissait sur l’enveloppe intérieure, et on développait avec une certaine anxiété la première on avait droit à un « gratuit » ce qui permettait d’augmenter le gain.
C’est le même processus qui fait d’un amateur, un criminel. Si la facilité est là et le gain possible, la morale est vite oubliée. C’est ainsi que de petites « escrocs » on passa au stade de « voleuses », par procuration. Que se passe-t’il dans la tête d’une fillette, bien élevée, qui ne manque de rien ! Que des bonbons pour aller imaginer cet autre stratagème.
Nous avions une autre amie qui était très surveillée par ses parents et ne « courait pas les rues » comme nous. Elle nous aimait, elle enviait peut être notre liberté. On lui parla de bonbons. Elle ne devait pas être très intéressée, car elle était certainement plus choyée que nous, mais elle avait un très bon coeur et voulait nous plaire.
Un Jeudi, elle vint vers nous avec une grosse pièce de cinq francs qu’elle nous donna pour aller ensemble chez la Renart tenter notre chance à la loterie des caramels. On en gagna tellement que les poches de nos tabliers débordaient. Chacune rentra chez soi, pour nous pas de problèmes, mais pour la pauvre Jeanine ! Quand sa maman trouva les caramels sur elle, l’interrogatoire fut bref. Elle avoua avoir pris l’argent dans le porte-monnaie. Je pense qu’elle a été punie, à cause de nous… et nous n’avons eu aucun remords.
Il est difficile de démêler chez un enfant les motifs qui le poussent à mal agir. Il sait ce qu’il fait mais il ne met aucun frein à son désir. Il agit comme un animal et sa proie, mais en tant qu’humain il ressent la faute.
Le souvenir de ces caramels m’interpelle, et pourquoi la marchande a-t-elle accepté cette pièce de cinq francs sans sourciller ? Quelle place pour la Police dans la société des Adultes ?.
Dans les fleurs que j’aime il y a le LILAS. Parce qu’aux beaux jours on l’attend. C’est le signe que l’été approche avec ses parfums. L’odeur de lilas. Il fallait monter chez le Perchet, assez haut derrière l’église. C’était une cabane de pierres sèches, au-dessus d’une ancienne carrière. Y vivait un couple, Lui devait être employé à la journée, Elle faisait des lessives. On la voyait quelquefois dans notre rue, dans une espèce de blouse bleue dont les manches courtes laissaient voir deux longs bras maigres rougis par le lavoir. « Tiens, c’est la perchette » disait-on. Je pense qu’on n’aimait pas les pauvres, nous les enfants, on les craignait. Ils nous donnaient des poux, pensions nous. On s’approchait du muret de leur enclos pour cueillir de belles branches qu’on descendait à la maison.
Invariablement, elles étaient disposées dans la cruche noire que nous avait laissée la grand-mère. Ce n’est pas étonnant que ma soeur décrocha le premier prix de peinture : un énorme bouquet de lilas.
J’ai encore en tête, cette odeur des fleurs, la crainte d’être surprise pendant la cueillette, les paroles que j’avais entendues un jour à la maison « Ils sont si pauvres que le dernier couche dans un tiroir » Cette histoire de tiroir me trottait dans la tête. Le tiroir était-il sur le sol ou à moitié enfoncé dans le meuble ? Et quand au cinéma, on montre les tiroirs de la morgue, immédiatement, je pense à ce bébé dans le tiroir et me revient surtout l’odeur du lilas mêlé à celle des pierres sèches. Et aussi celle du sedum dont on détachait des plaques pour nous faire des coussins éphémères.
Puis quand les grandes grappes de lilas commençaient à passer, nous pouvions passer tout un après-midi à recueillir les minuscules fleurs, une à une. Nous passions un fil à travers ces sortes d’entonnoirs et formions de longues guirlandes. on les passait autour de notre cou. On était alors des Vahinés !
Pâques -fleuries arrivaient. Les jardins prenaient des couleurs plus vives. Derrière la maison « LES COEURS DE MARIE » formaient des petits buissons dans lesquels ma mère allait cacher les oeufs pour nous faire croire que les cloches les avaient laissé tomber en revenant de Rome. Ce n ‘étaient que deux ou trois oeufs cuits durs dans de l’eau avec des peaux d’oignons pour les colorer. On les cherchait sous les grands fritillaires, des feuilles de rhubarbes ou les groseilliers. La chasse nous amusait plus que le résultat, à moins que.. une main charitable ait apporté quelques oeufs en chocolat dans leur papier doré.
Mais la grande affaire avait une date fixe : le premier mai, fête du MUGUET.
A la fin avril il fallait commencer à déployer une savante stratégie. D’abord s’assurer de la récolte en allant dans les bois, jusque à Citeaux, dans les bois de l’abbaye, que les clochettes allaient apparaître à temps, ni trop vertes, ni trop fleuries, les tiges devaient être à point pour le grand jour.
Nous n’ étions pas seuls, bien des familles s’éparpillaient en s’activant dans le bois.
Beaucoup arrachaient la plante entière, d’autres se contentaient de la tige fleurie qu’ils arrangeaient en un gros bouquet de cent. Un revendeur passait au village le soir même et achetait à bas prix la cueillette. Certains, comme ma mère, qui avaient un permis SNCF gratuit pour Paris s’arrangeaient pour en tirer un meilleur bénéfice. Le muguet était préparé, dans notre cave, en petits bouquets prêts à être vendus, posés dans un grand panier tapissé de mousse et couvert d’un linge blanc. De grand matin elle était déjà aux Halles, négociait sa récolte et pouvait être de retour le soir pour soigner sa famille et ses… poules.
Cette activité, c’était pour avoir « des petits sous frais », C’est à dire de l’argent pour « acheter ce qu’elle voulait ». Bien sûr du tissu pour confectionner ses robes, ses manteaux et ses chapeaux, mais surtout pour aller aux Arts Ménagers, un salon où elle allait chaque année après avoir longtemps réfléchi, je me souviens de l’arrivée d’un buffet sous l’oeil étonné de mon père, lui qui fabriquait des meubles en bois, se trouva devant du formica. Il ne fit aucune remarque. Il accepta de même le frigidaire... nouveau, les voisines sont venues le voir. Suivirent des gadgets, une sorbetière, un robot, tout ce qui était moderne.
Un jour elle nous emmena avec elle à Paris, pour choisir des tissus au marché Saint Pierre, Démontrant ainsi à mon Père qu’au besoin, elle aurait pu se passer de lui pour élever ses filles. Elle alla même jusqu’à nous emmener chez le fourreur choisir une magnifique veste en opossum ! Hors ce commerce de muguet, elle faisait commerce de lapins, de poules, de fruits, de légumes… et même de fleurs. Elle cultivait des aromes blancs magnifiques pour les cérémonies. Tout cela après la guerre. Car lorsque nous étions petites nos préoccupations étaient toute autres. Nos fleurs blanches c’étaient les grandes marguerites qu’on allait chercher au bas du village assez loin, du côté du Rocher, dans un grand champ. On en rapportait une grande gerbe et l’été des bouquets de bleuets et coquelicots qu’on retrouve dans les tableaux ou sur les lampes décorées par Georgette.
Pour moi, l’expédition la plus marquante a été la découverte à Agay des forêts de mimosa. Je connaissais Hyères, j’y avais fait un séjour de plusieurs mois dans un préventorium, à l’âge de neuf ans. Je n’oublierai jamais l’odeur sucrée et forte des genêts qui longeaient la mer jusqu’à notre lieu de baignade obligatoire à Pomponiana. Mais je ne connaissais pas la côte, à Pâques, quand fleurit le mimosa, son parfum éthéré. J’étais avec mon amie jeanine. Sa mère m’emmenait avec elle dans leur maison sur le cap à Agay. À Pâques, il y pleut souvent, sur nos parapluies descendaient les grappes jaunes ruisselantes, nous allions jusqu’au rivage, pour le plaisir de les sentir là, nos mimosas. C’était l’époque du Carnaval de Nice, on y achetait des bouquets de violettes et aussi des confetti .
En bourgogne, l’hiver s’en allait doucement et les premières fleurs apparaissaient sur les pruniers. Alors suivait le temps parfumé des arbres du verger. On y portait des chaises longues et on se laissait bercer par les fleurs. J’ai aimé les lignes colorées des champs de tulipes en Hollande, mais de si loin que je ne les ai pas senties vibrer de leur subtil parfum. Il y a des odeurs qui me reviennent quand je retourne la terre fraîche au jardin, celles du Réglisse en bois.
Je l’ai dit les friandises étaient rares, mais il y avait, au bas du village, un vieux jardinier qui gardait dans un coin humide un pied de réglisse. Les tiges nous paraissaient hautes comme des bambous, mais c’est le pied qu’il arrachait avec une bêche courbe, Rien que pour nous Il en raclait la terre et la peau avec son couteau et nous en donnait un ou deux tronçons. L’odeur de la terre, de la plante était aussi forte que le bâton tout frais. Rien à voir avec ce que pouvait vendre le Pharmacien. Entre parfum et plaisir du palais, je pose les champignons.
Les Rosés des Prés . Il fallait se lever tôt, souvent dans le brouillard et l’humidité. On prenait soin de mettre de la paille dans nos sabots de bois… partir avant que les bêtes ne soient au pré. Apercevoir de loin en loin le chapeau blanc de l’Agaric, en remplir un petit panier. L’odeur du Champignon différente, celle des lactaires ou des Trompettes de la mort qu’on allait chercher dans les bois. Mon Père nous emmenait à des champignonnières qu’il gardait secrètes. C’était en plein hiver, il grattait sous la neige en sortait des chapeaux et des pieds marrons et gluants qui sentaient si bon avant même d’être cuisinés ! Cela me rappelle encore l’odeur des fougères, sous la pluie au Pays Basque. Et en bourgogne les prunelles noircies par la gelée. Elles étaient sûres ! elles avaient l’odeur râpeuse.
Pendant la guerre, on était chargée d’aller cueillir les feuilles des frênes pour en faire de la boisson. C’était l’été. Elles sentaient la fraîcheur à pleines brassées sous nos aisselles. Nous étions attirés par un grand mûrier, le seul du village, mais dans un autre quartier, l’enfant de la maison nous y avait donné accès. Des mûres énormes, un arbre gigantesque, couvert d’abeilles et de guêpes. Des fruits sur le sol. Avec une orgie de sucre nous avons oublié nos tabliers tout tachés.
Il y avait des cueillettes qui ne nous amusaient pas du tout. «Aller aux noisettes » avec ma grand-mère. Tout le jour, dans le bois, à soulever les branches, cueillir des fruits qu’on ne pouvait pas manger tout de suite. On les emportait sécher sur le toit du poulailler, mais avant de les étendre sur les claies il fallait les « échailler »( les écaler ?). Tout ce travail pour en recevoir quelques poignées de temps en temps en guise de dessert ou de repas. J’ai vu en 1947 mon Père manger le soir un tout petit morceau de très mauvais pain avec deux poignées de noisettes…ma mère les cachait, mais je n’ai jamais pu savoir d’où elle les sortait.
Les cerises étaient abondantes, on en mangeait à volonté, car mon Père aimait tous les fruitiers qu’il plantait et même expérimentait avec passion. Quand il est arrivé à Marsannay, il n’avait que son courage et sa paie de cheminot. Ce n’est que petit à petit, sou par sou qu’il a acheté de la terre pour la transformer en verger et jardins.
Il y avait juste en face de la maison, une femme qui me paraissait âgée car elle était toute en noir, avec des mitaines en dentelle et un petit sac en résille noir serré contre sa poitrine. On l’appelait la Mairetet ou la mère Mairetet. Elle était veuve, sans ressource, ma mère l’aidait et en échange, certains après-midi, elle devait me garder. J’étais toute petite.
Elle était dans une pièce minuscule avec un lit, un poêle et une table placée tout contre l’unique fenêtre. C’est là qu’elle m’installait avec un verre d’eau sucrée pour regarder les rares passants pendant qu’elle se préparait pour notre promenade. On allait au cimetière, tous les jours saluer « son cher ami », c’était son mari décédé. Pendant ce qui était pour moi une longue promenade, elle me tenait la main dans ses mitaines. De temps à autre elle me laissait un peu de liberté pour faire « mon bouquet ». Il y avait toujours le long des rues des bandes de terre que le cantonnier avait négligées. J’y cueillais selon la saison des coquelicots un ou deux bleuets, de la camomille, la chicorée bleue, l’anis vert. Arrivée devant la tombe de son cher ami, elle se signait et restait debout, songeuse. Pendant ce temps je posais mon bouquet sur le gravier de la tombe. Elle emportait celui de la veille sur le dépotoir, à la sortie ou parfois allait chercher de l’eau dans le petit vase en fer blanc qui avec la croix était le seul décor de ce carré. Elle y jetait un dernier coup d’oeil, se signait encore et reprenant ma main, me ramenait à la maison.
Une sortie saisonnière n’a pas quitté mon esprit. Elle joignait l’utile l’agréable en allant aux cerises, mais pas aux cerises mûres et juteuses sur l’arbre. Elle allait ramasser les fruits tombés depuis longtemps après la récolte. Ceux qu’on laisse aux oiseaux, à terre. Les fourmis et les moineaux y avaient laissé quelques trous, toutefois elles n’en avaient que mieux séché, toutes ridées, je les suçais comme des pruneaux, en mettait quelques unes dans son petit panier. Pour elle c’était une récolte importante, elle lui permettait de faire des compotes, plus que des confitures qui auraient nécessité trop de sucre.
Elle n’allait pas en vendanges, elle n’allait pas grapiller dans les vignes après la récolte. Je pense qu’elle allait là pour faire une promenade avec moi, pour m’occuper.Tous les autres fruits, poires, pêches, prunes, raisins,…étaient si abondants qu’elle n’en manquait pas ; On le lui fournissait, surtout les fraises .
Mais cela est un chapitre à part. ma mère avait une passion pour ses fraises, sa récolte la plus importante. de grand matin elle faisait sa cueillette et les gens du village venaient acheter. Ce qui n’avait rien d’extraordinaire, jusqu’au jour où elle se passionna pour la culture de la fraise des bois, non seulement plus parfumée mais surtout plus rares et plus chères sur le marché. Dans un pays où les récoltes sont abondantes, Ventes et Achats s’organisent au profit d’un revendeur. Vers cinq heures du soir, cette sorte de courtier passait avec sa camionnette et sa trompette. Chacun lui apportait sa récolte, il la payait comptant et repartait vers la ville.
ma Mère comprit vite qu’en portant elle-même sa marchandise en ville, le profit serait tout autre. Elle trouva l’audace d’aller dans un ou deux grands hôtels proposer ses petites fraises des bois. Le Chef exigea qu’elles soient conditionnées en barquettes de carton. Qu’importe, Ma Mère dés le matin avait tout préparé, tout conditionné, Avant midi elle était de retour avec ses petits sous. Petits sous frais qui se transformèrent en une auto pour aller livrer… des fraises !
Pour nous, groseilles, cassis, framboises étaient des corvées, chez nous, car si on nous employait chez l’un ou chez l’autre pour faire le même travail, on était contents de gagner quelques sous. je me souviens d’avoir cueilli le houblon. Les perches avaient été descendues la veille par les hommes, je m’asseyais au milieu des Femmes et on enlevait soigneusement les cônes, un par un, le long des tiges. Mais cette odeur piquante, enivrante devait être un peu sédative car on n’y pépiait pas, comme pendant les vendanges par exemple. Le cassis avait son odeur et naturellement les framboises. Ma soeur, plus âgée, allait aider à leur cueillette à Corcelle ....
MADELEINE, Ma Mère
GEORGES, Mon Père
Figures du vingtième siècle en Bourgogne
par GENEVIÈVE Ninette, leur seconde fille.
C’est à ce moment que je fis un rêve d’une élasticité molle où l’on plonge comme dans un coussin bourré de plumes qui garde longtemps l’empreinte défraîchie du corps. Une sorte de limon blanchâtre. J’avais mangé la tête de ma mère. C’était au moment où elle commençait de perdre précisément cette tête d’habitude si volontaire et si serrée. Tout ce départ vers des contrées douloureuses et lointaines s’effectuait en face de moi dans une logorrhée, où, à travers une bande son étouffée voire hypnotique, surgissaient des éclairs que la colère ponctuait du nom de belle -mère, zona, opération, répertoire archi connu, toujours répété, mots pour mots et auquel il fallait sacrifier une oreille.
A ce moment là, les yeux étaient blancs, tournés vers ce vaste ossuaire intérieur. Et c’est cette tête là qui était devenue si absente, si déjà perdue, qu’elle n’avait plus qu’à se détacher.
Je m’en souviens très bien, la nuque s’inclina, déjà quelques poils noirs y restaient collés, d’un mouvement sans volonté, soumis à la simple pesanteur, comme la tête d’un bébé de trois mois, incapable de vigueur et de volonté. Le crâne n’eut plus qu’a se détacher alors comme une masse de viande trop cuite dans un pot-au-feu trop cuit. Il s’ouvrit, la cervelle était large et abîmée. Je crois que j’en mangeai, j’en offris à ma soeur, par communion. N’osant l’offrir aux autres de peur de leur réaction indignée. Il n’y eut ni goût ni dégoût, seulement un fait nécessaire, accepté comme inévitable. Le temps autour de nous s’épaississait en un brouillard laiteux ; en face de moi la tête de ma mère, vivante, rose encore mais fanée, continuait avec ses yeux morts à sourire. Simplement elle attendait un jugement. Elle ne parlait plus. Elle était dans un autre monde plus joyeux et plus calme, peut être le monde du silence.
On employait souvent le mot « comédie » mais sans bien savoir ce que ce mot pouvait définir. C’était avouer l’inconnu. Un domaine où l’imagination prenait le pas sur la raison, un domaine qui devait être reconnu par les autres, une sorte de jeu où ils devaient nécessairement entrer. C’était cela, les faire entrer dans le jeu pour montrer que soi aussi avait son existence qui ne dépendait plus des lois édictées à l’extérieur. Une sorte de ça qui aurait le droit de se cristalliser à l’extérieur.
Ainsi dans ce rêve où Mémé achevait une promenade à vélo à mes côtés, c’était le moment où on pose les engins contre un mur pour ensuite exprimer sa satisfaction. Elle dit « je suis tombée et je me suis fait mal aux genoux » c’était si vrai en apparence qu’elle se mit à gémir en me montrant une tâche rose sur la rotule. C’est là que la réalité reprend le dessus et n’en veut pas démordre. Je suis sûre qu’elle n’est pas tombée puisque tout le long du trajet nous avons été côte à côte. Moi non plus je ne veux pas lâcher prise. Je me fais champion de la réalité. C’est sûr, elle n’est pas tombée. Si elle est tombée une autre fois, c’est là qu’est la comédie. Dans le raisonnement enfantin, celui qui peut par l’innocence qu’on lui crédite modifier le temps et l’espace à sa guise. L’hier devient aujourd’hui, personne n’a le droit d’en douter. Ça pourrait bien être ainsi. Les tenants du raisonnement sont déconcertés. Toute la logique s’effondre. On ne s’y reconnait plus. Chacun crie « comédie, comédie ! »
Mais qu’est ce que la comédie sinon une énorme illusion, l’illusion qu’on chérit en cachette. Aller au théâtre tous les jours, on ne supporterait pas, mais qui n’éprouve pas du plaisir à aller voir de temps en temps de l’autre côté de la logique et de l’ordre ?
Ma famille avait toujours eu la même devise, sauver la face, être digne. L’apologie de la raison. L’homme n’est plus la bête d’autrefois. L’école laïque a remis sur ses deux pieds un être débarrassé des envies et des préjugés. Maintenant on doit être irréprochables par soi même, puisqu’il n’y a plus au ciel de Dieu qui vous regarde, Pantecrator.
Chacun coulisse son regard d’amande, souvent regard amer vers l’autre. Et l’autre craint ce regard. Et celui qui est irréprochable se délecte à juger l’autre et tremble de se sentir observé.
Les yeux de la mère en étaient devenus ridés, sous deux fentes grises et aiguës à force d’observer, de guetter, la lèvre inexistante, car jamais gourmande. La voix se voulait humble. Les ridules qui s’étoilaient tout autour savaient se serrer ou s’ouvrir selon le jugement intérieur. Car maintenant on ne l’écoutait plus. Les petites remarques persiflées n’avaient de prises sur quiconque. Des inférieurs avaient pris l’habitude d’obéir avant même que le son ne se formât dans l’inconscient du désir. Les autres ne la regardaient plus, n’étaient plus soumis à ses ordres. Alors un soupir sans vigueur et sans joie, devant tant d’impuissance, lui faisait dire : « à quoi bon ! » . Mais ce n’était plus une devise, c’était un constat. Peut être le constat d’échec de la raison contre la vie.
Ma grand mère m’avait toujours fait l’effet d’un grand prêtre en soutane noire. Son teint ivoire sans couleur. Sa vivacité était due aux jeûnes du vendredi qu’elle pratiquait régulièrement ainsi que les longs carêmes dont les bons pères blancs, alors en mission, dans la région avaient vanté les mérites. Son jardin était fleuri d’asters violets et strié des longues tiges velues des courges. Elles étaient indispensables à la santé ainsi que les simples qui avaient chacune leurs parterres. L’odeur qui m’est restée est celle de l’hysope, une odeur forte de grippe et de bouillons chauds. Non seulement on se soignait à la maison, mais on soignait les voisins. Avant d’imaginer qu’un médecin pourrait venir, on allait voir La Mélie. Cette réputation de femme à la main secourable, il fallait la parfaire dans une sorte d’aura de sainteté. Il ne fallait pas manquer une messe, une vêpres, les complies, les gardes d’hosties l’après midi du vendredi saint. Et par prosélytisme,on ne saurait ne sauver que soi, la famille est chère, il faut la pousser au salut. On exigeait des autres la reconnaissance de Dieu sur toute la parenté. Le petit Jésus nous « voyait » nous les enfants. Impossible de voler une prune même tombée et déjà à moitié mangée des abeilles sans qu’il soit là, dans les branches avec ses yeux pleins de reproches. Il nous faisait avouer n’importe quelle sottise.
Il sanctionnait tout. On le sentait dans son dos. Il n’y a qu’à l’école qu’on l’oubliait. Le maître était là pour faire office de lieutenant, mais d’un lieutenant plus distrait et les leçons de morale qu’on récitait par coeur n’établissaient aucun lien entre lui, le grand et ce qu’on nous inculquait.
Il fallait donc qu’un personnage incorruptible rétablisse la vérité des moeurs chez nous les galopins qui auraient pu « mal tourner » surtout les filles. Elles sont vite « effrontées » si on ne veille pas. Et d’abord il fallait aller à l’église, se mettre aux premiers bancs, non pas ceux réservés, les tout premiers, aux gens du château, mais juste après eux, ceux que les meilleurs chrétiens devaient occuper. Comme les élus les plus chers, au ciel, sont appelés à être tout près du Maître. Aller s’asseoir au fond de l’église sentait déjà le soufre. Personne ne vérifierait si le missel romain, malgré le signet placé le matin même, à la bonne page, serait ouvert sur le psaume du jour. Personne ne pourrait contrôler que les yeux n’iraient pas courir sur la nuque d’Hélène ou les rubans de Thérèse, ou s’égarer sur le plâtre défraîchi de la grande statue de la vierge de Lourdes dans un rêve d’un mysticisme douteux. Et Saint Antoine portait l’enfant Jésus avec légèreté et tendresse, la paume de sa main qu’on sentait chaude sous les fesses du bambin pouvait expliquer ce léger tortillement des filles.
Le banc ciré sous les jupes amidonnées n’offrait pas une assise sûre, il fallait sans cesse rectifier une attitude glissante qui, si on n’y avait pris garde, vous aurait doucement incliné la tête sur le dossier dans une senteur de lys blanc que le Saint homme tenait comme en offrande, pour le rêve de notre jardin secret.
Le rêve ne dérangeait pas l’office. Les vieilles chevrotaient leurs cantiques, souvent en désaccord avec l’harmonium de Mademoiselle, celle qui faisait le catéchisme et recevait chez elle les Missionnaires. Tant qu’elles chantaient, soutenues par la voix haute et puissante du curé et du chantre, c’était la fête, Les rires étouffés ne s’entendaient pas, les bavardages, les raclements de pieds, non plus, pas davantage le bruit des fermoirs des sacs à main et des chapelets qu’on se passait pour en comparer les dimensions et la valeur pour échange. On pouvait même dans ce choeur, oser sa propre voix et s’amuser à chevroter, à bêler même, à la fin de chaque répons en latin. Là où l’on pouvait s’en donner à pleine malice, c’était l’après midi pendant les litanies. Dés que le curé avait annoncé « Trône de Babel » , « Rose de Canaan »,« miroir des affligés » le choeur entier répondait en latin « ora pro nobis », une sorte de formule magique qui se répétait d’abord lentement, puis sur une allure plus soutenue, un peu comme un cheval s’essaie d’abord avant le trot, puis tout allait en s’accélérant guidé par la voix de l’aurige qui se faisait de plus en plus impérative, suivie de son cortège de fidèles qui le talonnait en gonflant de plus en plus le son jusqu’à ce que la voix des femmes se serre en une coulée tangible, qui par saccades, ora pro nabis, ora pro nabis, aurait du aboutir à l’extase. Ce moment là était le meilleur. Les vieilles nous échappaient, mieux on leur échappait. Plus besoin d’étouffer nos rires. Celle qui avait des bonbons pouvait les distribuer. On pouvait même faire des remarques à haute voix. On pouvait enfin, vive la liberté, rigoler.
C’est ce moment euphorique que choisit Irène pour répondre, très haut et très fort, « au chat pro nobis ». La métamorphose du rat en chat s’imposa avec une telle acuité à ma vision que j’éclatai de rire. Un rire canaille que ma grand mère connaissait bien. Celui précisément qu’il fallait éduquer pour la vie. Pas question de le supprimer, j’étais née avec, comme un mauvais sujet naît quelquefois, un rameau épineux qu’on n’enlèvera pas mais qu’on espère améliorer par une greffe ou un traitement approprié. Ma grand mère se retourna, surprit les démons en plein rire. Elle quitta son banc, le missel encore ouvert dans la main. Elle n’omit pas la génuflexion obligatoire quand on change de travée. Elle fonça sur moi, m’arracha du banc et d’une poigne ferme me tira au premier rang, au pied du banc de communion, m’agenouilla de force. je ne sais pas combien de temps je restai là en pénitence. Je ne sais plus si le regard chargé d’opprobre de Madame la mairesse ou la compassion de mes camarades me touchèrent. Je me souviens très bien des petits grains de poussière qui entraient dans mes genoux et de ma nuque qui fléchissait vers l’avant sous l’effet de la lassitude et du regard sur ma misère. De ma vie je ne pourrais relever la tête et sous l’oeil du Pentocrator, je ne célébrerais la vraie vie.
Cette grand mère pantocrator, je l’avais en fait très peu connue, j’avais même passé quelques bons moments avec elle. Je me souviens surtout du tiroir à bobines. Elle gardait tout ce qui pouvait « servir un jour « . Elle gardait les bobines de fil, une fois le fil utilisé. Elle les jetait dans un vieux tiroir qui était glissé sous la grande armoire. Les jours de pluie ou les soirs où j’avais été sage, j’étais autorisée à tirer le tiroir et à jouer avec les bobines. A ras du sol, légèrement grisée par l’odeur de fumée qui filtrait entre les cercles du poêle, j’inventais ou des chariots, ou des châteaux ou des constructions en pyramides qu’inlassablement je faisais tomber et remontais parfois avec minutie m’amusant à déformer le fragile portique, à en rapprocher les bords, à en creuser le centre d’un doigt taquin jusqu’à l’extrême limite, pour voir à quel moment ça tomberait et ça finissait toujours par tomber. De cette chute la grand mère cessait rapidement d’être le témoin passif et bientôt j'allais remettre les bobines dans le tiroir, le tiroir sous l’armoire et chercher une autre manière de tuer le temps. Ainsi dans la vie nous essayons avec plus ou moins de bonheur, pendant des périodes plus ou moins longues à trouver dans quelque activité une évasion.
Ce temps si précieux au vieillard qui en limite dans son esprit la durée impartie, il ne fallait pas le « perdre » . Comme chaque grain de blé devait rapporter son épi, chaque minute devait devenir réalité dans un ouvrage. On avait alors son « canevas », un petit carré d’étamine où attentif à chaque trou, on passait et repassait en le croisant un fil rouge. Ce n’étaient d’abord que des lignes, puis des traînées anguleuses plus ou moins nettes, puis des essais de chiffres et d’initiales. On s’y exerçait dans un art timide sans souci de progresser, simplement dans le but imposé d’avoir une activité. Le travail devait chasser l’angoisse. J’avais parfois tenté timidement de dire « Mémé, je m’ennuie ».Comme il aurait été facile, et je l’imaginais pour d’autres, les gâtées, les choyées, celles qui osaient manifester ouvertement leur désir de caresses, de voir ma grand mère dire « viens sur mes genoux », je vais te raconter une histoire, ou bien je vais te peigner, ou bien tu vas dormir un petit peu vers moi. C’était là un refuge mythique dont j’entrevoyais la porte, une issue vers le partage d’un rêve qui ne se réaliserait sans doute jamais. La réponse était immédiate « travaille et ça passera » . C’était une formule où l’impératif avait moins d’impact que le ton de résignation sur lequel la formule était répétée. car elle devait se transmettre à travers les générations.
Combien de rêves de jeunes filles avaient avorté dans la douleur avec pour tout pansement cette formule « travaille et ça passera ». Les adultes, les vieux, les grands, tous ne pensaient qu’à leur travail, ne se vantaient que des tâches accomplies. Les rêves, les sentiments, les désirs, on ne savait plus, depuis longtemps, quelle place on aurait pu leur donner. Seul comptait l’utile. Le soir on comptabilisait les travaux accomplis.
J’avais autre chose, ça avait passé et bien passé. Ce ça qui faisait « le coeur gros » les jours de pluie, debout derrière les vitres grises où s’écrasaient comme des pleurs de regret.
La logorrhée dominicale de ma mère s’épanchait sur un autre sujet. Cette autre grand mère dont j’ignorais à peu près tout. Elle et toute la famille était volontairement écartée des conversations. On avait jeté l’anathème sur toute une tribu. Un lot de pécheresses dont la seule évocation pouvait corrompre nos jeunes esprits. Un jour était venue à la maison une grande femme mince, vêtue d’un noir élégant et dont le haut du corps se perdait dans une fourrure vaporeuse et parfumée. Elle avait enlevé ses gants et posé son sac sur le bord de la table. Je crois même que j’avais eu des bonbons.
C’est un fait que cette grand mère là était épicière. Situation privilégiée dans un hameau de campagne et quelque peu méprisée. Car au croisement de quatre routes, les « quatre chemins » c’était le nom du lieu, son épicerie, un simple dépôt de quelques produits essentiels, sucre, café, huile, et savon était suspect par son exotisme même. Non seulement les produits venaient d’ailleurs mais les idées qui y circulaient, dérangeaient. On y recevait l’écho de la mode de Paris. Les filles allaient choisir les étoffes à la ville pour se faire des modèles. Elles avaient des allures et un parler qui imitaient celui des femmes libérées de la capitale. La grand mère les encourageait, fermait les yeux sur les grands éclats de rire et au lieu de travailler, travailler, travailler. Que valait donc la femme sans son travail ?. Elle écoutait avec ces filles les disques que celles-ci lui avaient offerts avec un phonographe. Le père avait fabriqué un meuble exprès pour ranger les rouleaux. Il y avait bien encore des cases vides, mais on se promettait d’acquérir les derniers succès d’opérettes. Car non seulement on ne travaillait pas dans cette maison là, mais on dépensait. On aurait, disait ma mère mangé, le vert et le sec. Quand une voisine venait acheter un quart de café, on la faisait entrer. On sortait les biscuits, on bavardait et on buvait soit un petit verre de vin cuit soit plutôt une tasse de ce même café. Le bénéfice s’absorbait d’avance. Il n’y avait pas d’argent à la maison, ou si peu que les gosses allaient pieds nus jusqu’à un certain âge. Vers douze ans, au sortir de l’école, ils se louaient pour une paire de sabots. Mon père, bien avant cet âge, aidait à la forge. On lui avait fabriqué, disait-il un large escabeau pour qu’il puisse atteindre la poignée du soufflet qu’il devait actionner. C’était son travail, le jeudi et parfois au sortir de l’école.
Un jour l’instituteur était venu. La composition française qui décrivait si bien l’ambiance chez le maréchal ferrant lui avait donné l’idée de venir voir ce qui se passait dans cet antre situé à la croisée des chemins qu’il ne fréquentait guère. Il pensait encourager le père à donner de l’ambition à l’aîné de ses fils. Celui ci parlait peu mais avait de l ‘esprit. il observait et écrivait bien. Il conserva toute sa vie un grand livre rouge épais, doré sur tranche, avec de grandes pages épaisses elles aussi glacées, couvertes de signes serrés, interrompus de quelques gravures et de grands titres. Ce devait être l’épopée napoléonienne, un livre d’histoire qu’on ne comprenait guère mais qui avait la valeur d’une bible. Ce livre avait été remis à mon père quand il avait été reçu le premier du canton au certificat d’étude.
Il parla souvent de ce succès et toujours avec un profond regret. Qu’aurait-il fait de ses diplômes ? Avec sa gaucherie, son accent bressan, aurait-il été instruisou comme il disait. Je crois plutôt qu’il aurait aimé écrire. Il avait tant de choses à dire, lui qui ne parlait jamais.
Il écoutait, il jugeait. Il n’aurait jamais osé dire, mais écrire, oui.
Quand l’instituteur formula sa demande, mon grand père tout naturellement se tourna vers son fils « alors qu’est ce que tu aimes mieux, Georges ? » . Quelle réponse donner quand on ne peut pas entrevoir l’avenir et qu’on est bien avec ses frères et ses soeurs. « je crois bien que je vais rester ici », entrant ainsi dans une série d’innombrables concessions qu’il allait faire toute sa vie. Le choix était fait. On n’insista pas. Monsieur l’instituteur s’intéressa désormais à cet enfant comme à un grand malade. Avait-il compris que de la misère on ne tirait que de la misère ? « j’ai misèré toute ma vie » disait-il. C’était la formule qui rappelait le mieux et le travail incessamment et consciencieusement fourni et le morne découragement de ne pas pouvoir accéder au plaisir ou d’y avoir renoncé en même temps qu’à l’enfance.
Le plaisir des enfants en guenilles passe aussi vite que leur innocence. Les filles avaient vite été sollicitées pour des bagatelles qui auraient dû les amuser mais qui le plus souvent réjouissaient leurs partenaires occasionnels.
L’apparence copine de ma mère, cet air de parisienne qu’elle se donnait avec son ombrelle et ses corsages en dentelles avait amené mon père à la trouver jolie au point de l’épouser. Une photo de jeune homme restait dans les albums de famille. Quelle expédition il avait dû faire pour ce portrait. Je ne sais pas si le cinéma avait ébloui mon père ou le photographe, mais la photo retouchée méritait un oscar. La cigarette entière était à peine retenue d’une main nonchalante. Les cheveux nominés collaient aux tempes rasées, la lèvre était mince et les fines lunettes cerclées d’or. Aucun forgeron n’aurait reconnu son fils sur un pareil cliché. Mais la mère était ravie d’avoir conçu un tel chef d’oeuvre. Avec quelle allégresse elle passa sa fourrure vaporeuse et sa redingote ajustée pour aller voir les futurs beaux parents et peut être la fille. Je ne sais pas si la fille parut. On imagine mal la rencontre. La logorrhée dominicale avait tellement transformé la réalité qu’on arrivait à une seule constatation. Il y avait eu un arrangement, le jeune homme avait été content, ma mère victime.
Et là commençait et recommençait dimanche après dimanche la longue complainte de ma mère. Le récit débutait toujours de la même façon « alors je me suis retrouvée chez eux « et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ah Madame ! il y avait toujours un interlocuteur même fictif pour enregistrer la plainte et témoigner pour la postérité. Ah Madame !, un taudis un vrai taudis, les gosses en guenilles, un pantalon pour deux, le mettait celui qui devait aller au village ce jour-là. Georges n’avait absolument rien. J’ai tout fabriqué, les chemises, les chaussettes . J’ai tout acheté avec l’argent que m’avait donné mes parents. C’était la misère, le laisser aller, ma belle mère était là avec le petit dernier sur les genoux, elle buvait du café, les filles ne pensaient qu’à courir. J’étais la servante.
Oui Madame la Servante, et ma belle mère aurait voulu que Georges reste à la forge pour nourrir tout ce monde . Je ne voulais pas être mariée. C’est ma tante Lucienne la grande responsable . Elle avait raconté que c’était un jeune homme très bien, qu’ils avaient du bien. Moi je ne voulais pas me marier, je pleurais.En regardant le portrait de ce prétendant d’une rare élégance, je voyais le mensonge. N’avait -elle pas rêvé, la petite paysanne qui jouait à la parisienne ? Ce beau prince charmant qui ressemblait à un clerc de notaire lui avait semblé un bon parti, bien meilleur que ceux du voisinage ? Ses illusions étaient tombées, quelqu’un devait en être responsable.
Lui, en premier, les relations conjugales parlèrent d’elles mêmes. Ce fut la misère. cystite, salpingite, bien des excuses pour ne pas s’attarder dans un lit de plumes trop chaud, trop étroit, trop sale. On entendait les rires des filles d’un côté et tard le soir le bruit de la forge.
Il fallait pour se laver, aller chercher l’eau au puits au fond de la cour. On ne pouvait ni conserver la coquetterie, ni même son hygiène personnelle. Le mari prêchait la résignation, la patience. Il se levait le premier pour faire le café mais le buvait face à sa mère avant d’aller à la forge où le père l’attendait. La mère était curieuse, elle aurait voulu savoir pourquoi son Georges ne sifflait plus et parlait de moins en moins. Mais comment expliquer que ça n’allait pas, qu’elle ne voulait rien savoir, qu’elle se tournait en pleurant du côté de la cloison, qu’elle avait mal, qu’il n’osait pas, que lui même ne savait pas comment s’y prendre et en perdait l’envie.
Pourtant elle était désirable dans sa chemise de batiste blanche finement brodée. Elle peignait soigneusement ses épais cheveux noirs et se lavait le cou avant d’aller au lit. Elle semblait faite pour des plaisirs raffinés et c’est ceux là qu’il recherchait pour lui même, seulement il n’avait pas appris les caresses pour les dames. Il n’avait jamais eu de curiosités pour des approches amoureuses. Dans les prés voisins les bêtes ne faisaient pas de manières. Tout semblait aller de soi et il se demandait à peine pourquoi ça ne marchait pas. Il ressentait tout cela de façon douloureuse, une sorte de morosité, une façon qu’avait le destin de ne pas se mettre à vos côtés, de vous ennuyer. Il soupirait, s’essuyait la bouche sur le revers de la main, ramassait les miettes, les mettait dans son bol, fermait son couteau d’un coup sec, le fourrait dans sa poche se levait et se dirigeait vers la porte. A un clou pendait son béret qu’il enfonçait jusqu’aux sourcils et partait vers un travail qu’il croyait consolateur.
Un soir il décida de l’emmener à la pêche le dimanche suivant, tous les deux, au bord de l’eau, loin de la famille. Dés le vendredi il était rentré, portant sur l’épaule trois grandes gaules qu’il avait longuement ébranchées et débarrassées de leurs feuilles. Du jardin trois baguettes de noisetiers avaient été préparées de la même façon. Quelques bagues de cuivre avaient été ajustées à la forge. Pour le fil et les hameçons on se débrouillerait. Le plus difficile était d’annoncer à la mère cette partie de campagne en tête à tête. Un coup d’audace. Se désolidariser de la famille, et un dimanche. Les soeurs voudraient sûrement être conduites à la fête dans un village voisin. La mère voudrait peut être aller prendre ou porter le café à une cousine du bourg. Le père pendant sa longue sieste ne pouvait pas surveiller la forge . Affronter cette situation, dire d’un air naturel « dimanche on va à la pêche tous les deux, Madeleine et moi », ça il ne le pouvait pas. Il pensa que les actes serviraient de paroles. On le vit descendre de la poutre le panier d’osier à baguettes, le poser sur la table et se mettre à chercher dans le buffet quelques provisions. Il n’en sortit qu’une boîte en fer, cadeau du caïfa, des galettes. De toute façon la prise était symbolique. On s’empare bien d’un drapeau pour crier que toute la ville s’est rendue.
La mère avait compris, décrocher le panier et vouloir le remplir c’était dire : je vais faire une partie de campagne. D’ailleurs elle l’avait vu ajuster ses sions et chercher du fil. S’il rapportait du poisson, tant mieux. De toute façon la fille ne travaillait pas le dimanche. Elle passait sa matinée à s’attifer pour aller à la messe. Elle boudait à table, s’asseyait ensuite sous l’auvent avec sa broderie, comme les dames. Car les dames, elles ont un dimanche. Elles ne courent pas les bals. Elles se reposent. Elles se livrent à des travaux d’art après leur sanctification matinale.
Ce dimanche là, elle était particulièrement en beauté, souriante, prête dans sa robe de jersey d’un bleu fluide, qu’elle avait agrémentée de boutons achetés directement au marchand ambulant, son cousin Alcide Pelletier, qui faisait les marchés après s’être approvisionné à Paris chez Boucicaut. Chaque bouton était un petit bouquet de fleurs minuscules de porcelaine, un peu lourds pour le tissu, ils faisaient pendre l’encolure et découvrir la chair dorée du cou, au dessus d’une poitrine menue comme celle des toute jeunes filles. Elle n’avait oublié ni les chapeau à ruban bleu ni l’ombrelle blanche, celle qu’elle gardait pour se faire photographier, à l’occasion d’une noce par exemple ou si son beau père l’invitait, car lui avait une auto et un appareil photographique. Elle s’activa autour du panier, comme une abeille allant et venant, ajoutant une bouteille d’eau, son ouvrage de broderie, un mouchoir et pour finir un grand morceau de drap de son propre trousseau. Il servirait de nappe.
La rivière était à deux kilomètres au bas du village. Ils partirent à pied, Georges à grandes enjambées, ivre de liberté, allait devant, s’arrêtait vers des buissons pour l’attendre. Elle avait bien gardé l’habitude de marcher, mais elle avait mis ses souliers du dimanche. Aux buissons de poires à bon dieu, il cueillit des baies rouges et les mit dans une sorte de musette qui contenait les instruments de pêche. Les gaules sur l’épaule, le panier à la main, il se dirigea tout droit vers le petit pont que les pêcheurs connaissaient bien. Il fallait pour atteindre le bord de l’eau, traverser une zone fangeuse. Les pieds des boeufs y creusaient des trous assez profonds pour laisser l’eau y stagner en permanence entre les touffes de joncs. L’endroit « était favorable aux crapauds et aux grenouilles ». Elles s’y rassemblaient souvent, quand elles n’allaient pas bailler sur les feuilles de nénuphars et nager entre les calibots.
Il choisit un peu en arrière une motte de terre sèche, entre les joncs, posa le panier et commença à ajuster ses lignes et sortir les appâts. Au bout d’une demi-heure, il avait pris un goujon, elle avait achevé au point richelieu tout le pourtour d’une grande feuille sur le dessus de table en lin qu’elle parachevait. Gardienne du poisson à la gueule ensanglantée, elle goûtait le repos. La seconde demi-heure n’apporta rien.
Il sortit de sa poche les baies rouges d’aubépines et annonça « maintenant je vas pêcher la grenouille », l’hameçon fut remplacé par une épingle courbe. Il lança d’un coup ample et assuré. Le fil vint affleurer à l’extrémité d’une feuille de nénuphar. il se mit à faire tressauter le fruit rouge fixé à l’extrémité. Bientôt on vit deux grenouilles nager vers la feuille verte. Immédiatement l’une d’elles sauta sur le fruit rouge. L’épingle hameçon ne joua pas son rôle. Il aurait fallu être plus brutal, tirer brusquement à la verticale au moment exact où la bête avait la gueule qui se refermait sur l’appât. La seconde rencontre réussit . On vit la gaule décrire un large demi cercle en arrière, en un éclair la grenouille fut sur le pré au pied de Madeleine. Elle ne s’aperçut de la prise que lorsqu’il abattit sur la bête une large main qui la retint fermement prisonnière par le haut des cuisses. Content de sa prise « ah je te tiens ma gaillarde ! » et vlan il lui écrasa la tête sur une pierre. Madeleine ne trouva pas le geste joli, joli, mais la pêche et la chasse ont leur loi. Ce qu’elle n’apprécia pas du tout, ce fut cette incision circulaire qu’il fit autour de la taille de l’animal et surtout la façon dont il la déshabilla de sa peau en la retournant comme un gant jusqu’à l’extrémité des pattes roses et droites comme des dents de fourchettes. Il tenait la peau comme un trophée. Ce serait un appât bien meilleur pour les prises prochaines. Pour elle c’était comme une petite culotte de jersey rose qu’ on exhiberait sans pudeur à toute la famille, elle n’aimerait pas qu’on lui pose des questions au retour, ni que les filles ricanent. Elle ne mangerait pas de grenouilles. Elle ne voulait aucun rappel d’intimité car d’intimité il n’yen avait pas. Elle ne se posait pas la question du bonheur. Elle était tranquille s’absorbant dans sa broderie comme dans le rêve. Sans envie aucune, elle pensait à sa soeur Marie qui avait sarclé le grand champ de maïs derrière la ferme, un dimanche parce qu’il allait pleuvoir et que l’eau pénétrerait mieux aux pieds des haricots entre les rangs. Le cercle autour de la lune était encore très grand, un vaste halo brumeux, mais à la terre il faut tout prévoir.
Elle déballa les provisions et avec son goût habituel, sut ranger une jolie petite table avec une serviette dépliée et quelques fleurs de carottes arrangées comme des dentelles autour de quelques fleurs d’oeillets sauvages. Il continua à surveiller ses lignes et ses bouchons tout en mastiquant. Elle grignota. On oubliait un peu le mal vivre qui pouvait vous attendre au retour. Pourtant celui-ci fut serein. On ne fit pas très attention à la pêche. Quelques poissons, quelques grenouilles, une poignée de noisettes fraîches encore en lait et quelques poires sauvages pas encore mûres. pour elle quelques centaurées violettes entourées d’un nuage de gypsophile. Elle mit le bouquet sur la table de nuit, dans un bocal.
Cette échappée pourrait être un prélude. Il pourrait y avoir une vie à deux, on pourrait s’échapper d’ici pour avoir des dimanches comme les demoiselles. Rester toute sa vie une demoiselle, une demoiselle Péguillet, fille de François Péguillet, un paysan bien brave qui devait avoir plus d’argent qu’il ne le montrait, qui avait une fille à Lyon, instruite, dans une maison de commerce. Et cette Madeleine qui passait sans vous accorder un franc sourire, mais laissait passer sur ses lèvres une ombre mutine dont le dédain vous piquait à vif. Elle savait s’habiller, elle avait des doigts de fée, on ne l’envoyait pas au champ. Et si, par nécessité, elle gardait les vaches au pré, un après -midi, quand tout le monde était à moisson, elle ne s’asseyait pas comme une vraie bergère, les jambes écartées, appuyée à un arbre, un bâton à sa droite, regardant les bêtes, non, elle cheminait en fredonnant, la tête baissée sur une broderie commencée. Elle brodait en marchant, exercice difficile, mais la routine ! Elle ne faisait halte que pour couper le fil, enfiler une aiguille ou aborder un angle du tissu particulièrement délicat. S’il fallait vraiment surveiller une luzerne ou un rang de maïs trop proche, alors elle glissait l’ouvrage dans la poche de son tablier et sortait d’un petit sac de velours pendu à son côté, le tricot commencé, en général un bas noir ou blanc en fin coton, travaillé à quatre aiguilles en acier. Elle tricotait pour la famille mais aussi pour les voisins. Dans le tiroir supérieur de la commode, dans la chambre, elle avait un petit coffre pour y glisser les pièces qu’on lui remettait en échange. De temps en temps elle en sortait quelques unes, quand elle avait remarqué un tissu ou du coton qui lui plaisait à l’étal ambulant des Cordelier Pelletier.
C’est le troisième jeudi du mois qu’ils arrivaient pour s’installer dans la cour devant la forge. Ils prenaient le temps de saluer tout le monde, de faire un arrêt devant l’atelier et de parler des chevaux ou des récoltes. Ça laissait aux voisins le temps d’arriver. Ils entraient dans la cuisine pour boire une tasse de café. Après avoir posé des questions qui n’avaient que des réponses tout à fait banales, ils se levaient pour la cérémonie. Comme dans la maison mortuaire on échange quelques propos en attendant la levée du corps, alors l’arrivée des employés fixe pour chacun son activité, son maintien et le fait entrer dans son rôle de participant.
Alcide de son bras droit, il avait été mutilé à la guerre, l’autre membre se terminait par un crochet qui partait en courbe et avec lequel il arrangeait habilement les rouleaux de tissu rangés de part et d’autres sur les flancs du camion, comme un régisseur qui tire le grand rideau de scène, il dévoilait sa marchandise. A l’arrière tout ce qu’il fallait pour les trousseaux. On était sûr de le vendre. Mois par mois on avait prévu les pièces nécessaires.
Trois filles, trois trousseaux, tant de finette, tant de pilou, tant de métis, pas de surprise.
Sur le devant s’alignent les nouveautés. On s’y laisserait bien tenter, une robe, un fichu, une ceinture à bon prix paierait le déplacement. En partant on emporterait quelques oeufs et peut être du beurre ou du fromage blanc. Les clients rentreraient contents de serrer leur trésor, une partirait tout droit dans l’armoire, les colifichets resteraient quelque temps exposés sur le lit ou la table de la salle pour que les voisines les voient et qu’ils reposent avant la prochaine sortie, un peu comme on fait reposer un vin dans sa bouteille après un long voyage. Elle ne savait pas très bien, en brodant ce qu’elle allait acheter à sa cousine Pelletier mais elle savait qu’elle serait tentée. Et c’est la tentation en elle même qui lui donnait le plus de plaisir. Le plaisir de se sentir exister.
De désirs elle n’en avait pas. Elle n’en aurait jamais. Choisir était pour elle impossible. Quand on lui demandait « où veux- tu aller ? » « tu veux aller ? » « tu veux rester ? » « à quelle heure veux- tu manger ? » Il se faisait dans sa tête une grande plage vide. Les autre dessinaient leurs projets sur ce grand drap plan et elle, elle s’accommoderait. Alors on s’était habitués ne plus lui demander son avis, certains qu’il n’y aurait pas d’opposition de sa part, on disposait d’elle. Et cela créait pour elle un malaise qu’elle essayait de faire sentir autour d’elle comme un manque d’air frais, un manque de liberté. Ce qui attriste le prisonnier ce n’est pas de manger une vague soupe dans une gamelle en fer blanc, c’est de recevoir cette soupe à travers un guichet à une heure qu’il n’a pas décidée de lui-même.
Aussi, après cette journée qui avait été pour elle un sursaut d’indépendance, ne sut-elle rien répondre, ni même s’étonner, quand il lui annonça qu’ils allaient quitter la baraque .
Elle ne vit pas s’ouvrir des perspectives éblouissantes, une vie à deux, une activité rien que pour eux, de l’argent à eux, des projets comme il venait d’en surgir dans sa tête quand il avait lancé cette idée.« On va quitter la baraque ».
Elle pensa qu’elle s’habituerait à ne plus voir sa mère, de loin en loin au marché, son père quelquefois le dimanche, qu’elle allait être seule pour une sorte d’aventure vers laquelle on la poussait, qu’il lui faudrait du courage. Pourquoi, elle n’aurait pas su le dire, mais la perspective d’un travail, lequel ? où ? l’attira.
On le vit désormais moins souvent assis à côté du poêle, occupé comme il l’était souvent à polir une pièce de bois, en dehors des heures passées à la forge. Il se rendait le soir chez le voisin. Le cousin Jean avait l’air d’un grand benêt de campagne. Son sourire était d’une niaiserie douloureuse, mais il lisait les journaux. On le lui apportait souvent. Souvent aussi un de ses cousins venait de Dijon, à bicyclette, le dimanche. Il travaillait chez Terrot, dans la mécanique. La bicyclette avait séduit Georges. Il avait fait un projet. C’est sûr, la forge n’a pas d’avenir. On n’y fait plus que des bricoles pour dépanner les vieux qui ne paient même pas. Mais un joli magasin de bicyclette, bien posé là sur la route au carrefour des quatre chemins, à la place de la chambre à four, ce serait bien. On ferait les réparations. Le père n’aurait peut être pas dit non, la mère on ne sait pas, mais le rêve n’est plus le rêve si on lui donne une épaisseur et les belles bicyclettes nickelées avaient tourné un moment dans sa tête, quand dans le froid des ateliers S.N.C.F il taperait des pieds pour les réchauffer en attendant que sa gamelle qui tiédissait sur un coin de la forge ne soit bonne à ouvrir.
C’est Jean qui lui parla de son cousin de Dijon et des bruits qui couraient. On demandait des ouvriers à Perrigny au chemin de fer. On devait travailler jusqu’à cinq heures du soir, c’est tout. On était payé tous les mois. On pouvait habiter pas loin et faire les commissions à la coopérative qui vendait tout, même des meubles. Pour être embauché il fallait écrire, se présenter quand on vous le dirait pour faire un essai. C’est Jean qui fit la lettre. Il en parla vaguement à Madeleine qui resta perplexe, partagée entre la vie à la campagne et l’angoisse de l’inconnu.
Bien sûr elle s’éloignerait de sa mère et de sa soeur marie, mais elle aurait de l’argent et quand elle viendrait les voir, elle leur ferait des cadeaux. Elle aussi serait « quelqu’un » comme sa soeur Marthe qui était secrétaire à Lyon et lui avait offert son ombrelle du dimanche. Elle travaillerait pour le monde pour les magasins qui la paieraient bien, au lieu de retourner les cols de chemise du beau-père. Elle pourrait sortir ses plus jolies robes sans que sa belle-mère la déshabillât par un « mâtin », vous en avez de belles affaires pour ici. Peut être que Georges loin de sa mère s’intéresserait plus à elle, surtout qu’elle cuisinait bien et qu’il n’y aurait pas toujours la cafetière sur le poêle et les tasses sur la table où couraient les mouches.
Lui ne pensait qu’à l’essai, un vrai examen plus impressionnant que le certificat d’études. Pour le certificat le maître lui avait préparé les plumes et le porte-plume, il avait ajusté le crayon pour l’ardoise. Il lui avait quelques jours auparavant fait faire sa rédaction sur une grande feuille rayée spéciale où il avait inscrit son nom en haut et à droite. Mais pour ce fameux examen qui déciderait de tout, qui sait les outils qu’il aurait ? qui sait si la braise serait juste bonne. Il se prépara une trousse avec sa pince personnelle qu’il s’était faite pour lui et son jeu de limes. La trousse elle -même il la tailla dans un tablier de cuir usagé. il se mit à la coudre un soir en sortant de la forge. Ostensiblement il étala sur la table une page de journal qu’il découpa pour faire un patron. C’est au moment où il appliqua le rectangle sur le reste du tablier de cuir que la mère jugea bon d’ intervenir. Elle ne savait pas tout mais elle avait, entre deux tasses de café, appris beaucoup sur les projets de Jean et de son copain. La forge sans forgeron, c’était fini, marié, on n’avait plus qu’à s’en aller ou mourir de faim.
La Marie avait vu l’affaire tout autrement. Un gars au chemin de fer, c’était l’avenir assuré,il viendrait le dimanche, non à bicyclette comme le cousin mais par la gare, en train. Il apporterait une partie de sa paie. Et quand elle serait vieille, il la prendrait avec lui en ville pour finir ses jours. « Alors t’y vas au chemin de fer ? ». Je vais essayer. Inutile d’en dire davantage. « Et vous Madeleine ? » Madeleine ne savait pas quoi répondre. Encore une fois, elle n’avait pas choisi. Elle s’adapterait, elle verrait. C’est elle qui tira d’entre les chemises de son trousseau les quelques billets nécessaires au voyage. La bicyclette était prête, c’était celle du voisin qu’on avait fait briller et pour laquelle on avait soudé un vieux porte-bagage. La valise n’était pas grosse et presque vide. La musette de toile bien remplie. Toute la famille s’aligna sous le Sevron. Il enfonça son béret jusqu’aux sourcils, il fit un geste de la main et partit. Il avait gardé ses sabots, les chaussures étaient dans le bagage.
Je ne sais pas si plus tard, il se rappela ses sentiments d’alors. Une fois dépassés les prés qu’il connaissait bien, il n’eut d’intérêt que pour ses réflexions et son monde intérieur. Un mélange d’espoir et d’inquiétude. Le sentiment d’une aventure plus que d’un avenir meilleur. Envie de tester ses capacités plutôt que ce qu’offrirait par la suite la réussite.
Une cinquantaine de kilomètres et le souci d’arriver avant la nuit pour trouver la maison du cousin Jean.
Le cousin occupait deux pièces au rez de chaussée d’une maison ouvrière dans un alignement de briques sombres. Il y passa la nuit. La fatigue de la route lui permis de bien dormir. Ce n’est que le matin qu’il se prépara avec angoisse et ferveur, se lavant soigneusement les mains comme un oblat qui célébrerait sa première messe.
Ils étaient huit autour de la forge à exécuter l’essai. On leur avait préparé les pièces métalliques et épinglé sur le mur un dessin explicatif. Une serrure et une clé assez grossières. Il essaya quelques réflexions aimables à l’adresse des autres concurrents puis s’absorba, limant avec ses gestes précis qu’il garderait toute sa vie, la langue pointant légèrement hors des lèvres, avec un léger sifflement qui ne deviendrait jamais un refrain, une sorte de chant intérieur qui n’atteindrait jamais la plénitude de la satisfaction.
Il avait gardé ses sabots, une braise peut tomber et brûler les chaussures. Il avait oublié de changer de veste. A voir ce grand jeune homme maigre, dont les manches de veste trop courtes laissaient passer des poignets trop blancs et trop fins, le contre-maître se demandait dans quelle partie de son atelier il placerait cet animal-là. Pour les sabots c’était un Bressan. Mais il y a sabot et sabot. Ceux-ci ne ressemblaient en rien à ceux qu’il pouvait voir sur les marchés quand il était en déplacement. Le bois avait été profondément creusé pour envelopper jusqu’à la cheville. Les brides de cuir étaient taillées pour envelopper le coup de pied d’une peau fine que retenaient les étoiles dorées des clous forgés à la main, sous leur capuchons de cuivre. Il s’approcha, curieux « Vous en avez de beaux sabots » « Oh, je les ai faits il y a longtemps déjà ». Une sorte d’excuse car il avait senti sous la remarque qui se voulait admirative, la légère ironie qui atteint toujours le bressan.
Quand on a un accent, on est d’une race à part. Et les Bressans ont leur façon de traîner sur les mots. Alors on se moque de leur esprit lent. Leur façon fine d’observer les gens font qu’ils en pensent long et ne disent rien. D’ailleurs ils n’attendent rien, de personne. Petit peuple sans gloire, ils n’ont pas droit à l’ambition du moins le pensent-ils.
L’essai était bon, c’était facile à voir. Ceux des autres posés à côté du sien sur la table étaient sinon moins bien, différents.
A midi entrèrent le contre-maître et un Monsieur en veston. Il jeta un coup d’oeil sur clé et serrures sans y toucher. Chaque artisan se tenait debout, le béret à la main, à distance de son oeuvre. « celle-ci est très bien, très bien ».
« c’est vous ? » « oui Monsieur » « Félicitations ». Il savait qu’il pouvait retourner à la ferme le soir même et que le lendemain il serait « appelé ». Le cousin Jean avait quitté son chantier et était venu voir. Pas question de repartir avant quatre heures. On irait fêter ça au bistrot.
Le bistrot était une petite taverne de briques avec deux chaises de fer qui restaient hiver comme été sur le trottoir. On s’y entassait au sortir du boulot pour se rincer la dalle et rafraîchir le gosier en le lavant de toutes les escarbilles de charbon qui l’avait desséché pendant la journée. On se connaissait, on parlait, on buvait. On posait sa pièce sur le comptoir et le verre se remplissait. Le cousin Jean paya, il paya. Il eut vite fait de remarquer que beaucoup sortaient facilement les pièces et engloutissaient facilement les consommations.
Un verre de rouge en général, un vin de la côte, un bon vin qui réchauffait et faisait parler plus fort. Le premier verre lui parut bon, le second l’échauffa, il se vit heureux de son succès. Il revit le soir du certificat d ‘études quand un Monsieur avait dit à son instituteur qui le protégeait comme un ange gardien « félicitations ». Félicitations, son ange gardien avait rosi comme un frémissement. Il lui avait passé la main sur le haut du crâne, et puis ils étaient allés s’asseoir à un café sur deux chaises dehors et on lui avait apporté une limonade La boisson absorbée, il n’avait qu’une idée rentrer à la maison et dormir. Il fit le même mouvement pour prendre congé de Jean, s’excuser. Il fallait faire les cinquante kilomètres, ce serait la nuit dans quelques heures. Il se fit expliquer le chemin le plus court pour rejoindre la route de la Saône enfonça son béret, d’un coup de rein et d’épaules ajusta sa musette et reprit la route.Tout en pédalant il regardait les lueurs du couchant. Il songeait à l’espoir qu’il rapportait aux autres. Lui- même n’aurait pas su dire s’il espérait un autre ou un ailleurs. Le cours de ses pensées rythmait l’avancée de sa machine. Elles tournaient dans sa tête, une fleur, quelques vaches un peu plus près d’une barrière près d’un buisson les arrêtaient ou les poussaient vers un autre sujet.
Comment Madeleine allait elle prendre ce changement de vie ?.. et la Mère ?. Personne n’en parlait. On ne prenait rien à partie, ni pour, ni contre, on laissait faire. Comme une légère branche emportée sur l’eau, elle se heurte à la berge, elle s’arrête un moment tout contre la pierre qui affleure et l’arrête. Elle dévie, le flot se fait plus pressant, alors elle repart. Elle stagnera longtemps à la grille de métal qui amasse les feuilles mortes aux portes du moulin.
Et toujours ce sens d’une vie qui coule monotone. Ce changement de condition aurait pu être un éclat fêté au vin blanc et à la gnole. Il n’y eut que le Jean pour en parler avec envie autour d’une tasse de café, tandis que Madeleine était partie annoncer la nouvelle chez ses parents. On ne sait pas comment ils reçurent leur fille mais elle revint avec quelques billets offerts pour l’installation. Elle alla tout de suite chez sa cousine acheter de quoi faire une chemise qui fut terminée le lendemain même. Ils décidèrent qu’il irait une semaine seul au travail et chercherait un logement, après quoi elle irait elle aussi demander à être embauchée quelque part.
Il logea une semaine chez le cousin Jean qui avait déplié un lit cage dans la salle à manger. A la fin de la semaine il revint chercher Madeleine rapidement. Il fallut choisir seulement quelques vêtements indispensables car le logement serait difficile à trouver. Le cousin voulait bien laisser la salle à manger à leur disposition. On trouva un deuxième lit cage chez un voisin. On avait des billets de chemin de fer en troisième classe. Il suffisait de faire une dizaine de kilomètres pour aller à la gare. Entre deux tasses de café et deux cuillères de gnole on trouva un voisin qui avait un cheval rapide et un tilbury. On mit les valises et le panier d’osier à l’arrière. On se serra sur la banquette avant. On fit de même dans le premier compartiment. On monta les bagages dans le filet, on se serra sur la banquette du côté de la vitre, face à la marche. Il n’y avait plus qu’ à se laisser aller au rythme saccadé des aiguillages.
L’arrivée dans la grande ville les trouva ni émerveillés ni apeurés. Ils étaient là serrant l’anse du panier d’osier. Ils n’eurent pas à demander leur chemin. Ils marchèrent longtemps, jusqu’à une maison de briques rouges d’aspect charbonneux. Il y avait de la lumière dans la salle à manger. On les fit entrer comme des voyageurs, poliment. Elle vit la salle encombrée, le lit cage dut être replié. Les bagages se posèrent sous la machine à coudre Singer et sur une chaise. Deux gros bols blancs et le pain avaient déjà étaient mis sur la table. ça sentait le café dans la cuisine attenante.
Georges sortit du panier une livre de beurre, dont il retira soigneusement une partie du papier. De la poche il sortit son couteau, tailla une tranche de pain pour elle, une pour lui. La sienne il la découpa en petits cubes qu’il tartina de beurre un par un, en les disposant sur la toile cirée en deux cercles concentriques devant son bol. Elle, elle faisait attention de bien se tenir et de ne pas se salir. Elle mordait doucement à l’extrémité de la tranche de pain, qu’elle avait trop légèrement enduite de beurre, pour montrer qu’elle savait ne pas abuser de l’hospitalité des autres.
Il fallait pour être bien vus « se gêner » D’autres auraient dit « faire des manières ». C’était mal voir. Il fallait se mettre un corset, comme les dames du château à qui on offrait le pain bénit à la messe. Elles n’en prenaient qu’un petit cube et du bout de leur mitaine en disant « merci, mon petit ». On en aurait bien pris, nous, une grosse poignée, surtout le jour de la grande fête où le pain était remplacé par de la brioche, d’ailleurs si on n’était pas vu, on le faisait. On en mettait même une petite poignée dans son sac à main, surtout celles qui occupaient le bout du rang et auxquelles on tendait en premier la corbeille. Tant pis pour les autres. C’était cela à l’origine se gêner. C’était vaincre son propre instinct, son égoïsme pour penser aux autres. Mais c’était devenu une convention, une manière de faire bien. On se gênait même quand il n’y avait rien à partager. On avait l’impression d’être une châtelaine, même si on savait que ces dames, chez elles, hein, elles avaient des brioches encore meilleures, bien plus grosses, bien plus fraîches et qu’elles en avaient des fois, la bouche pleine avec du café qui coulait autour de leurs bajoues. Comme la vieille qui riait tant après avoir bien bu et bien mangé. C’était Lucien, le jardinier qui racontait ça. On le croyait puisqu’il l’avait vu.
Les bonnes manières de Madeleine n’étonnèrent en rien Madame Jean. Elle crut à la fatigue et au manque d’appétit. Un peu de chagrin peut être d’avoir quitté les siens. Elle s’assit à table avec eux, se versa un peu de café dans une toute petite tasse, sortit d’un étui plat une cigarette et se mit à fumer. Ce geste audacieux, Madeleine le désapprouva immédiatement. Elle avait une façon de téter la cigarette qui faisait vulgaire. Elle envoyait au plafond des grandes bouffées tout en riant à ce qu’elle racontait. C’était une histoire de voisinage. Un gamin s’était glissé sous la clôture pour aller cueillir des groseilles et il y avait laissé le fond de la culotte. Georges se sentait plus gai. Il fit quelques remarques et quelques calembours. C’est pas le tout, dit-il, il va falloir que j’y aille et il ferma son couteau d’un coup sec. Il se leva et remit son béret. Il allait voir du côté des ateliers. Autour de midi, non seulement il repérerait mieux les lieux, mais il trouverait à qui parler pour l’histoire du logement et de l’organisation future.
« Eh bien, ma belle qu’est-ce que vous comptez faire ? » Je vais au grand marché, vous allez venir avec moi ? Le marché était loin mais elle n’en avait jamais vu de si grand. Entrer dans les halles, c’était entrer dans une cathédrale. Une multitude de tables carrées offrait tout ce qu’on voulait pour bien cuisiner. Elle eut tôt fait de reconnaître la marchande de beurre des marchés de sa région. Il n’y avait qu’à regarder sur l’étal les mottes de beurre sur des feuilles de choux, chaque pain, comme une mandorle finement ourlée s’ornait d’une figure en ronde-bosse, une marguerite ou une vache. Mais la marguerite celle de la Marie Duvernois, offrait la particularité d’avoir des pétales semblables à de fins copeaux qui sortaient à l’école des taille-crayons de Mademoiselle l’institutrice. La Marie n’ était pas loin. Elles se reconnurent, ne s’embrassèrent pas. Il y eut un petit fossé entre la ville et la campagne. C’est pourtant la Marie qu’elle pria de donner le bonjour à ses parents. Elle reconnut Madame Rameau à la pancarte « poissons des étangs ». C’était elle qui vendait les carpes et la petite friture.
Elle avait emporté peu d’argent, elle n’achètera rien. Les légumes ne s’achètent pas, ils viennent du jardin. Le cochon on le prend au saloir, le pain on le fait une fois la semaine ou le boulanger vous l ‘apporte quand il vient prendre livraison de quelques sacs de farine. Elle fut surprise de voir son hôtesse remplir son cabas de toile cirée de carottes, de pommes de terre, de poissons . Avait-elle tant d’argent ?
Autour des halles il y avait le déballage ordinaire des camelots, de la vaisselle aux chapeaux de feutre, on trouvait de tout. Elle fut tentée par les tissus, acheta un coupon pour se faire un corsage, sa compagne choisit un métrage pour une blouse de cuisine. « Puisque vous savez si bien coudre, vous m’aiderez bien à faire ça ».
Tout l’après- midi elles transformèrent la salle en atelier. Si Madame Jean ne savait pas coudre, elle avait l’audace de couper. Elles se prirent les mesures, ajustèrent par des épingles les pages de « la vie du rail ». Et Madame Jean qu’on appelait la Jeanne tailla hardiment un patron pour la blouse et pour le corsage. On dégagea la machine à coudre et quand les hommes rentrèrent, tout était déjà faufilé.
Les hommes en rentrant jetèrent un coup d’oeil léger sur l’ouvrage et réclamèrent de l’eau chaude pour se décrasser. La première lessive avait été faite à l’atelier même, mais elle avait été rapide. Ils voulaient rentrer vite pour repartir voir un logement qui disait-on était à louer, pas trop cher et pas trop loin . On sentait à cet empressement que le temps de la cohabitation ne devait pas être long. On était poli les hommes s’entendaient bien, les femmes se parlaient sur un ton poli qui ressemblait à de l’aigre-doux.
Ils fermèrent la porte de la cuisine, on entendit des raclements de gorge, des objets qu’on déplace l’imperceptible chuintement du robinet et le bruit mou du rasoir qu’on repasse. Frais et rasés, les cheveux bien alignés, Ils sortirent pour dire un au revoir pressé.
Les femmes épluchaient les légumes pour la soupe. Elles n’avaient rien à se dire... Madeleine rêvait à des champs, à sa mère qui devait bientôt chauffer le four, à sa soeur Marthe qu’elle imaginait en train de taper à la machine, comme sur un piano, allegretto, allegretto, qui devait voir tellement de beaux modèles dans les vitrines de Lyon. Elle écoutait vaguement les propos de la Jeanne. Il s’agissait de ce qu’on allait gagner avec les primes, de ce qu’on allait pouvoir acheter à la coopé.
Ah la Coopé ! Elle la décrivait comme une cathédrale aussi vaste que la nouvelle gare haute sous sa marquise, une nouvelle dentelle de métal. De vastes comptoirs de bois luisant, des employés en blouses blanches, grises ou bleues. On établissait une fiche de commissions, on vous apportait tout, là devant vous.Vous aviez une autre fiche, un double, pour aller payer à la caisse. ça sentait l’huile et le savon de Marseille. Cette odeur de savon et d’huile qui vous prend à la gorge quand après la sortie des Arnavaux, vous apercevez entre les immeubles un bout de mer avec quelques grues. Et vous filez sur l’autoroute et vous filez avec vos souvenirs et vos souvenirs courent derrière vous.
Et vous vous revoyez, pas bien grande à la Coopé, le nez au niveau du comptoir regardant les deux pains de savon, le sac de cristaux de soude, le litre d’huile blanche et les fichus, l’employée qui écrit. Ou bien, c’est la guerre, vous êtes un peu plus grande, un peu plus mince, vos chevilles sont bleues de froid et marbrées d’engelures. Vous attendez dans une longue file, l’employée est toujours là mais fatiguée et revêche. Il n’y a sur le comptoir qu’ un rectangle de savon gris comme un morceau de plâtre qui s’effrite. La Coopé d’autrefois, le paradis. On en poussait la porte comme celle d’une gare dans une ville avec l’espoir d’un départ. L’odeur grise de la poussière des ateliers voisins, l’odeur écoeurante des tanneries du bout de la rue, avec ses eaux sales stagnant sous le pont entre deux berges vaguement herbeuses. La Coopé vendait aussi du chocolat. Des tablettes Meunier dont on cassait la barre pour la manger avec le pain du goûter. C’était un chocolat farineux qui pouvait blanchir, voire moisir si on le gardait un peu longtemps. Il se décolorait et perdait son arôme. Mais il gardait son nom magique. Une barre de chocolat, récompense rare parce que chère, parce que achetée. On pouvait bien manger un panier de prunes à en avoir une belle colique, ça on ne le payait pas. Mais ce qu’on achetait ne sortait du buffet qu’à des moments peu nombreux et choisis. Par exemple les bananes, achetée déjà bien avancées, au rabais.
On en sentait l’odeur promise à travers la porte de ce buffet souvent fermé à clef. Un soir on nous les avait apportées après la soupe pour le dessert. Le chocolat qui aurait dû être le meilleur, c’était celui que recevait ma grand mère. Pendant la guerre elle le recevait des Pyrénées. Ma tante Marthe régulièrement lui faisait parvenir une grande plaque de la marque basque « au Pelotari ». On la déposait, dés le colis ouvert sur la pile de torchons en haut de l’armoire de la cuisine, avec quelques dragées offertes à l’occasion d’un baptême. C’était une sorte de réserve comme doivent en faire des écureuils. On ne devait pas y toucher. Pensant les vacances, elle nous tartinait de beurre une tranche de pain, de beurre ou de graisse d’oie. Et si on n’était pas regardant ce jour-là parce que la petite voisine était venue jouer, on râpait une raie de chocolat en un petit saupoudrage. C’était toujours l’extrémité décolorée de la plaque mal conservée qu’on râpait ainsi, mais avec tant de parcimonie que la plaque finissait par être entièrement décolorée et ne plus avoir de goût. La nouvelle plaque était placée sous l’ancienne, elle moisissait à son tour. Si bien que je ne saurais vous dire le goût exact de ce chocolat « au Pelotari » si vanté par la réclame.
Pour les fruits, en particulier, les poires, l’usage était le même. A l’automne elles étaient alignées en haut du buffet ; bientôt elles prenaient une chaude couleur orange, fardées de rouges. Elles sentaient bon. Si bon, si mûr qu’on n’y touchait pas. Quand bien des semaines plus tard, on en ouvrait une, si elle n’était pas pourrie. Et alors c’est ma grand mère qui la mangeait. Elle était « bieuse » mais blette au point de sentir l’arbre mort. Et interdit de faire la grimace puisque les poires blettes n’est-ce pas sont les meilleures.
Quand je me surprends à mettre sur l’ étagère le bon pâté en boîte que je viens d’acheter, pour plus tard au lieu de le déguster tout de suite pendant que j’en ai envie. Quand je retrouve au fond d’une bonbonnière oubliée les cafards, ces réglisses dont la forme et l’odeur me plaisent tant que je me les offre à moi-même de temps à autre, et que je n’ai pas mangés pour les garder, et que j’ai oubliés, Je me révolte contre cette grand mère qui a tué si bien les plaisirs de vivre, nous a forcées à des jeûnes à des macérations dont nous portons la trace .
Georges revint porteur d’une bonne nouvelle, un logement « était à louer ». Il fallait se présenter et faire bonne impression. C’était le moment d’enfiler le corsage. les manches gigots et le col blanc donnaient un air angélique et sérieux à la fois. La première parole que dit la propriétaire quand elle s’adressa à Madeleine fut « vous n’êtes pas enceinte au moins ?, parce que les enfants, moi… » La réponse qui me fut rapportée bien plus tard partit du coeur « il ne manquerait plus que ça ! ». Ce cri de négation, j’y ai souvent pensé. Au dessus de tous les malheurs qui accablent un couple, il y en a un qui plane en une menace constante et absolue : La maternité. Être enceinte, enfermer un corps étranger dans son propre corps et qui vous mine de l’intérieur jusqu’à ce qu’on puisse l’expulser, le subir avant et après. Ne pas savoir quand il va prendre possession de vous, guetter s’il arrive ou n’arrive pas . Chaque mois se demander si… Enfin tant que « ça » , ne se voyait pas, on pouvait toujours dire qu’on venait de se marier et qu’on avait le temps.
La pièce était assombrie par les branches d’un laurier-tin qui venaient balayer la fenêtre qu’il faudrait commencer par nettoyer. Une petite pièce attenante pourrait ou abriter un lit ou servir de cuisine. le loyer n’était pas excessif. Dés le lendemain on apporta la valise et les lits cages que le cousin Jean voulait bien prêter pour quelques mois. Le soir même Georges confectionnait des étagères avec deux planches récupérées dans un fond de wagon et une table pour mettre le réchaud, prêté aussi, car on achèterait une cuisinière pour se chauffer et avoir de l’eau chaude. Madeleine nettoya la pièce avec autant de goût qu’elle aurait nettoyé un poulailler. De toute évidence elle n’allait pas vivre là-dedans longtemps. Elle donna des ordres. Georges tailla le laurier, mit des vis supplémentaires à la crémone, boucha quelques courants d’air avec du papier, lava deux bols, fit une soupe avec un morceau de courge et alla dormir avec des projets pleins la tête. Il devrait dés son réveil consolider par une équerre la table sous le réchaud, Madeleine trouvant qu’elle bougeait un peu. Il faudrait aussi un morceau de lino pour ne pas salir le mur là où on ferait la vaisselle. Il faudrait, il faudrait, il s’endormit au milieu des faudrait, faudrait. Madeleine se tourna contre le mur. Si au moins elle avait une commode ! pour ranger ses affaires… ses robes se balançaient sur des cintres qu’il lui avait fabriqués avec une branche de cerisier et de la ficelle de lieuse.
Elle ne savait pas très bien ce qu’il allait toucher à la fin du mois, n’importe comment ça ne ferait pas assez si on voulait acheter une commode et une cuisinière. La Jeanne lui avait dit qu’on embauchait chez Pomona pour mettre des bananes dans des caisses. Elle, elle aurait préféré broder. Elle avait remarqué, en allant au grand marché une boutique qui semblait vendre des draps brodés, des jetés de table, des coussins au point de bourdons et c’était bien marqué brodé main. Quand il renta du travail, il ne prit pas le temps de se laver. Il avait apporté du plâtre, il y un ou deux trous de souris à boucher. Elle lui dit qu’il faudrait une cuisinière à bois et charbon…Il n’écouta pas et répondit, prudent « Ah, faudra voir ! » On ne sait pas ce que je vais toucher ni ce qu’il restera. Elle avait tout vu. La cuisinière, elle l’achèterait, elle, avec ses sous, parce qu’elle travaillerait. Elle aurait ses sous à elle, parce que ce n’est pas avec ce qu’il gagnerait qu’on allait pouvoir vivre. Elle pinça les lèvres et se ferma. Elle avait dit l’essentiel. Elle l’avait renvoyé à son incapacité « Eh bien vas -y au boulot, tu verras si c’est rigolo ! ».
L’impulsion était donnée. Elle hésita pourtant plusieurs jours avant de pousser la porte de la boutique « sans rival ». Elle avait dans son sac quelques morceaux de métis chiffrés de grandes initiales, un mouchoir dont un angle était entièrement travaillé de jours échelles, quelques cerises exécutées sur un coin de pète en l’air en pilou. On appela la gérante qui du premier coup d’oeil jugea cette petite jeune femme qui avait besoin de travailler, qui savait broder et qui se contenterait de ce qu’on voudrait bien lui donner. Elle lui fit un sourire condescendant, un rien flatteur
«Vous repasserez vendredi on aura peut être quelque chose pour vous ». C’est ainsi qu’elle se retrouva dés le matin, tout contre la fenêtre en train de broder des bavoirs et des mouchoirs en dentelles. Un travail très fin, très soigné qu’on appréciait au magasin. Au début comme pour une débutante les chiffres et les motifs étaient dessinés en bleu sur l’ouvrage, bientôt on lui remit une boîte de poudre bleue quelques tampons en bois et elle dirigea elle-même son ouvrage en totalité, repassage final compris.
C’était Georges qui animait le feu de la cuisinière et contrôla la chaleur des fers à repasser. Deux petits fers de fonte que sa soeur lui avait donnés. Bientôt il s’intéressa lui-même à marquer chiffres et motifs. Non seulement il fallait appliquer au bon endroit cette sorte de décalcomanie, mais il fallait au préalable tout un cérémonial. Nettoyer la table convenablement, tirer de leur papier de soie les ouvrages loin du tampon à encrer, ne pas froisser, ne pas bouger, ne pas, ne pas. C’était plutôt ennuyeux mais tellement utile si on voulait avoir droit après à une soupe chaude. Le soir elle brodait encore à la veillée, tirant jusqu’à elle l’ampoule électrique jusqu’à ce que la poire remplie de grenailles de fer s’immobilisât tout contre le plafond. Si on voulait voir il fallait s’approcher mais pas trop, on pouvait salir l’ouvrage ou le tablier blanc qui servait à broder et à protéger l’ouvrage entre deux séances.
Il prit le parti d’exécuter des travaux mécaniques qui ne réclamaient que la pénombre. Des finitions au papier de verre, un pied de lampe en bois, un élément de plateau, pris dans une vieille planche dont la surface devait être renouvelée poncée et cirée. Tout cela était autorisé si cela ne faisait pas trop de poussière ni « de chantier ». Le « chantier » était un terme vaste qui recouvrait tout ce qui la dérangeait, elle, et lui donnait du travail. Une trace de pied sur le carrelage, par exemple , mais dés qu’il eut ponçé et ciré le plancher, elle confectionna des patins. Le lit qu’il fallait faire chaque jour, mais dés qu’ils eurent leurs chambres séparées, elle ne fit que la sienne. Le dîner même était chantier parce qu’il fallait qu’elle le fasse même si elle, elle n’avait pas faim et il fallait le faire à l’heure dite. Elle trouva la solution. La soupe était faite, le dimanche matin pour la semaine. Il était bien capable d’en verser quelques louches dans une casserole sur le coin du poêle.
Le dimanche matin cuisaient dans le four un poulet puis une tarte puis une brioche et souvent un gratin. Avec cela on devait tenir une semaine. Un ou deux litres de lait reposaient dans une terrine en attendant d’être devenu un gros fromage blanc tandis que le même fromage qui restait, dans une assiette creuse, moisissait dans un linge pour devenir fromage fort. Ainsi est-elle libre de revenir à ses chères broderies.
On ne la payait guère, elle en avait conscience et la commode et la cuisinière, sans qu’elle sache bien à qui donner la priorité, n’était pas pour demain. Comme la jeanne le lui avait dit on embauchait chez Pomona. Georges fit la grimace. Cette fois-ci, non seulement les repas ne seraient plus tout cuits dans l’assiette, mais il n’y aurait plus personne pour entretenir une espèce de chaleur au foyer. Il n’y avait qu’un vieux poêle dont on pouvait à l’angle dans un coin de fonte éclatée surveiller la flamme. Le four cuisait bien. Le soir elle y mettait une brique pour glisser dans le lit. Elle avait fait un petit sac brodé à ses initiales et y glissait cette précieuse chaleur encore entourée par précaution d’un papier journal. Dans le four on faisait tiédir les pantoufles quand la bise passait sous la porte et elle y mettait aussi les pieds pour se réchauffer en tricotant ou en cousant. La présence était entretenue avec des rondins fendus, des planches rapportées, alignées le long de la cloison en attendant qu’il ait trouvé de quoi faire le coffre à bois qu’elle réclamait. Ce bois l’agaçait parce qu’il amenait des bêtes, elle le rendait responsable des fourmis assez rares mais surtout des araignées. « Je ne peux pas souffrir ces bêtes-là, tu m’entends, je ne sais pas ce que je leur ferais »!. Elle ne leur faisait rien du tout car c’était lui, le dimanche matin qui dénichait dans tous les coins les petites bêtes dans leurs légères toiles grises. Il en était venu à fabriquer une sorte de goupillon pour mieux essuyer les angles sans abimer le plâtre bien fragile. Si elle travaillait jusqu’à six heures du soir, le poêle serait froid. Il faudrait le rallumer.
N’importe quelle considération ne l’empêcherait de faire ce qu’elle avait décidé et il le savait. Il fit la moue et dit « comme tu veux, vas-y » avec un soupir auquel elle ne prêta aucune attention. La partie n’était pas toute belle pour elle non plus. Il fallait aller se présenter. Elle choisit un jour où la Jeanne s’était annoncée. Sur le lit elle avait étalé le corsage neuf, une panoplie de secrétaire-dactylographique diplômée, avec un col Claudine blanc. Le patron la trouva jolie, elle l’était et le savait. Néanmoins il l’affecta à une tâche assez ingrate : coller les étiquettes sur les caisses à l’expédition. La fille n’avait pas l’air d’un cheval de bataille et semblait adroite. Elle trouva que la colle sentait mauvais et que les femmes étaient vulgaires, fumant à la pose au lieu de manger les deux bananes allouées pendant la pause. Le soir, c’est lui qui mangeait deux bananes qui deviendraient sinon réglementaires du moins habituelles. Des canaries tigrées, mûres à point, c’est à dire trop mûres pour être mises à l’expédition. Pour tempérer la saveur et l’odeur d’un exotisme qui emplissaient toute la maison, il complétait son repas par le fromage fort. Une odeur de suint prenante et aigre s’en dégageait et le baiser du soir ne s’attardait pas.
La récompense de la journée chez Pomona c’était la broderie. Tirant la lampe vers ses genoux, elle s’absorbait dans le dessin qui se formait sur le tambour. Brodeuse sur tambour, elle aimait ce titre qui lui permettait d’aborder la patronne du magasin. Elle osa même un certain matin dire que « ça ne rapportait pas beaucoup les bavoirs et les mouchoirs » . Elle reçut en réponse un gentil sourire. L’important c’était d’avoir de l’ouvrage « travaille le temps te durera moins ! ». Combien de fois l’aurais-je entendu ce « labor non fallax » ( le travail n’est pas trompeur ).
Un soir la chance lui fit signe. Elle se trouvait au comptoir du « sans rival » quand une dame bien, une de ces bourguignonnes parfumées, la tête chapeautée émergeant d’un col de renard gris, demanda si on pouvait lui ajourer une paire de draps et la marquer de son chiffre. Elle déplia une feuille où un grand L et un grand R entrelacés se compliquaient d’une couronne de roses avec semis de tiges et de feuilles. « ça doit vous intéresser ça » dit la patronne. « Je pense bien, le jour Venise, je vous ferai cela à la perfection ».
Le paquet lui parut lourd jusqu’à la maison et elle avertit Georges que si désormais elle faisait des draps, il faudrait qu’il l’aide à les porter. En train de faire chauffer un fer à souder dans le poêle pour colmater la fuite d’une bouilloire qu’on lui avait donnée car inutilisable, il ne répondit pas. Ces affaires de broderies ne pouvaient pas l’intéresser, ses mains et ses vêtements risquaient de salir le précieux linge. Peu de jours après il apporta sa contribution sous la forme d’un petit repose-pied en bois. Entre midi et deux heures les compagnons jouaient aux cartes en commentant le journal. La forge et la menuiserie étaient libres. Il avait préparé quatre rectangles, les avait ajustés, passés au papier de verre et vernis. Quand il sortit ce cadeau de sa musette, il était ému et fier comme s’il offrait à sa chère maman son premier bouquet de marguerites. Elle fut émue aussi mais ne se laissa pas aller jusque’à le montrer. Elle dit merci, ce soir-là, lui servit son repas. C’était le même que celui de la veille mais il avait un goût meilleur.
Dés lors et pendant des années et des années la position et la technique seraient toujours la même. Assise vers la fenêtre ou sous la lampe, les deux pieds sur le « petit banc » elle déployait le drap qui lui couvrait ainsi les genoux. Une épingle fixée au genou retenait la partie travaillée et se déplaçait à mesure que l’ouvrage avançait. L’épingle était fixée sur la rotule au bas ou au tablier bien ajusté autour des genoux et des cuisses. Des fils avaient été tirés auparavant. Restait à les prendre par paquets de quatre, les serrer à la base par une aiguillée qui les contournait et les serrait d’un coup très sec. Pour qu’un jour Venise tienne, il faut qu’il soit gainé sèchement. Ces coups secs se répétaient à intervalles réguliers de quelques secondes, l’échelle se dessinait barreau après barreau jusqu’à ce que l’attache de l’épaule ou le coude ou la nuque crie fatigue. Alors avant de plier l’ouvrage pour le lendemain, elle avait la coquetterie de mesurer la longueur accomplie. Un mètre, un mètre quarante, un mètre trente deux et reportait le chiffre sur un carnet. Elle n’était pas payée au mètre mais au forfait pour le drap entier. Ce qu’elle mesurait, ce n’était pas le gain éventuel, mais une performance. Un peu comme un sportif à l’entraînement aime à mesurer chaque fois ses progrès. Ou simplement pour mesurer l’étendue de son travail comme une promesse de liberté.
La vie chez Pomona n’avait pas cette saveur. La semaine terminée on vous donnait votre paye. On allait à la Coopé acheter l’épicerie nécessaire. ça n’avait rien d’exaltant. Elle alla toucher sa paie et n’en parla plus.Pour compenser ce manque à gagner, il fallait broder davantage et accepter toutes les commandes, y compris les chiffres, le repassage, la présentation de l’oeuvre terminée. C’était Georges qui calquait le chiffre, c’était elle qui le repassait et quand il s’était entièrement lavé et changé, il l’aidait à plier et à emballer. il en faisait un paquet soigné qu’il mettait dans une caisse aménagée spécialement à la dimension normale d’un drap, le chiffre protégé par un papier de soie et la caisse par une toile cirée. Le chargement était arrimé sur le porte-bagage de la bicyclette. On allait à pied.A quelques pas du "sans rival" il ouvrait la caisse et attendait. Elle, elle allait faire « ses affaires » . Il n’avait jamais osé lui demander ce qu’on lui donnait. Comme il n’a jamais osé regarder les précieux carnets où étaient comptabilisées les sommes ainsi gagnées. Il ne fut cependant pas étonné quand un soir en rentrant de la ville, elle annonça « j’ai vu une cuisinière bleue chez Litodon, c’est une Chappée, tu iras la voir si tu veux », « pourquoi j’irais la voir ? » « parce que c’est celle-là que j ‘achète »,Incrédule il modifia « qu’on achètera « ,« non, que j ‘achète ». Mais tu as des sous ? bien sûr que j’ai des sous, je ne pouvais pas la commander si je n’avais pas eu de sous. Tu l’as commandée ? Il ne savait pas s’il devait être inquiet ou ébahi, mais son sens de l’outillage prit le dessus. « bon j’irai voir » Elle fut examinée, auscultée avant l’achat. Elle fut livrée, posée, mise en service deux jours après. Premier achat d’une longue série qu’elle se remémorait dans sa logorrhée dominicale.
Ç’avait toujours été le même scénario. Elle annonçait un jour brusquement qu’elle avait acheté une commode, un buffet, un frigidaire, les fers à repasser, les robots plus tard, les machines à couper les frites, les gaufriers électriques, elle les achetaient sans en parler, c’était du courant, selon elle. Les gros meubles ne pouvaient pas passer inaperçus et il mettait en cause le salaire. Je l’ai payé avec mes sous, disait-elle et elle se le faisait croire. En fait dés que « l’argent brodé » était dans son sac, elle le dépensait parcimonieusement pour la nourriture à la Coop et au marché. Quand le gain était plus important, elle ajoutait un coupon pour elle et quelquefois pour lui pour confectionner une chemise qui faisait vraiment défaut. La paie, la vraie, celle du chemin de fer, elle était déposée sur le livret de la caisse d’épargne, en vue du prochain gros achat, s’il avait été décidé en commun, ce qui était très rare. C’était devenu un petit dépôt rituel au cas où on achèterait un appartement ou si un malheur arrivait. Le gros de la somme était plié entre deux draps près des carnets de compte à broder.
Et les journées étaient aussi réglées que des journèes d’usine. Elle nettoyait vite et bien les traces d’une vie commune de ce lieu clos qu’on appelle un foyer. Elle organisait dés le matin son atelier, son usine à elle, et s’asseyait à son poste de travail. Le geste répétitif et nerveux accroissait sa tension ou la dissipait selon les lunes ou les événements de la veille. Les pleurs alternaient avec les rêveries. Elle revoyait au bas des prés aux vaches, l’anse brillante de la rivière, la fraîcheur de l’eau toute proche, l’arrêt du temps cependant que flottait autour d’elle comme des flocons, la bourre des peupliers ou des grands chardons secs. Elle rêvait d’eau, de calme et de ciel. Si elle avait envie de pleurer malgré ce paysage idyllique, elle ne savait pas dire pourquoi. Une sorte de manque d’aimer, la rage d’être seule à se battre, le manque de projets précis, là où le rêve n’a même plus la couleur du rêve. Alors elle s’accrochait à l’image du prochain objet qu’elle achèterait. Ce serait un buffet, un buffet de chez Crozatier, meuble dont elle avait déjà consulté le catalogue. Un achat indispensable, car c’est le buffet qui fait la cuisine. Il avait de nombreux tiroirs et une petite porte vitrée pour y aligner les boîtes de sucre et de chocolat. Elle retournait vers la rivière, là où elle s’arrêtait, vers le pont pour regarder les fleurs marrons des roseaux et de fleurs, et les gousses piquantes des calibots, les bulles qui montaient de la vase et les larges creux glissants où les pieds des vaches s’enfonçaient tandis que de leurs naseaux, elles soufflaient au ras de l’eau en faisant s’enfuir les minuscules rainettes grises. Le buffet n’était qu’un pansement sur une plaie qui guérissait mal.
Le buffet ne vint que dix ans plus tard parce qu’un jour après avoir attendu anxieusement ses règles, elle dut se faire à l’idée qu’elle était enceinte. Quand un vieux docteur, après lui avoir fait respirer l’odeur de savonnette de son crâne chauve et introduit son doigt là où elle n’aimait pas, elle se mit à avoir des nausées. L’estomac plié sur l’ouvrage avait des renvois aigres qu’elle essaya de limiter en mangeant très peu. Georges prit la chose comme on l’avait prise chez lui. Ainé de sept bien vivants et de nombreux autres peut être. Il trouvait cela naturel. Il se souciait du berceau qu’il pensait faire lui-même, à moins qu’il n’en trouvât un même à réparer à la salle des ventes. Ce qu’il avait oublié c’est que le propriétaire ne renouvellerait pas le bail et à mesure que la taille de Madeleine s’arrondit, multipliait les allusions pour obtenir une certitude qui lui permettrait de leur signifier leur congé.
Elle parvint à ses fins et Georges retourna voir le cousin Jean, au cas où il aurait une idée de logement.
C’est à huit kilomètres de la ville qu’il trouva deux pièces dans l’angle du village, une vieille porte juchée sur un escalier de pierre, une petite fenêtre et une treille. Le bas des marches, c’était la rue. En brodant elle pouvait assister à tous les charrois. De la charrette de luzerne fraîche dont les grappes roses et violettes tressautaient entre les montants de bois espacés, jusqu’aux charrettes de vendanges dégoulinantes de jus dans leur caisson plein à ras bord.
Elle ne regretta jamais la ville et rêva d’un jardin. Elle commença par une bande de persil au pied de l’escalier. Ce fut son premier bouquet d’orgueil. Que de carnets n’allait-elle pas remplir par la suite, carnets de haricots, de pois, de prunes, de choux. Un kilo à un franc, trois livres à 0,70, Deux oeufs. A quatre vingt ans elle sortait du tiroir ses trophées comme un combattant exhibe ses médailles. Elle exigeait, toujours comme un vieux soldat qu’on admirât encore ses prouesses. C’était sa gloire. Son travail et sa gloire.
Gloire par le travail qui nous laissait indifférentes, pire qui nous écorchait vives ma soeur et moi. le travail nous avait tout pris. Nous n’avions jamais eu de mère, jamais ce petit moment d’épanchement où le temps s’arrête. Ce moment d’éternité où rien n’existe qu’un peu de chaleur au creux de la poitrine. l’instant sacré où il ne se passe rien de visible, un contact avec un Dieu, une galaxie noyée dans une myriade d’étoiles blanches éblouissantes. Le biberon plus rapide avait pris la place du sein. le biberon coincé entre les plis de l’oreiller ou attaché par une ficelle au côté du berceau présentait une tétine incertaine qu’il faudrait sans cesse aller chercher par soi-même comme l’amour, toute sa vie.
Travailleuse émérite à la médaille qui sortait ses carnets, les lisait en litanies, si tu savais comme nos sourires agacés contenaient de rancoeur, de gâchis. Mais le persil poussait, comme seraient magnifiques les poireaux, les choux et les tomates. Le persil faisait s’arrêter les passants, ou bien elle invitait d’un geste la femme à en cueillir quelques brins, ou bien elle l’autorisait d’un bref dialogue dans l’ouverture de la porte ou le plus souvent, elle se contentait de sourire à travers les carreaux et sa main et le dé brillant voltigeaient incessants autour de ce sourire flatté mais bref.
La fille dormait dans un berceau alsacien qui avait été acheté. Celui que Georges avait fabriqué, aurait convenu pour la campagne mais plus maintenant. Qu’auraient dit les gens, déjà que la pièce était sombre, quatre planches passées au brou de noix et cirées, trop prés du sol. Non, elle avait acheté un berceau qu’elle avait habillé de mousseline blanche. Pour le premier on peut encore hésiter entre le bleu garçon et le rose fille. Achat avantageux à cause des roulettes. On pouvait bercer du pied l’enfant qui pleurait. Mais la petite fille ne pleurait pas. Elle était sage. Elle était adorable et jolie. Elle souriait à tous ceux qui avaient la permission d’entrer. Est-ce pour cela qu’elle continuerait à sourire, malgré tout, à chaque fois qu’elle avait un public ? Avait-elle pris à sa mère ce sourire de circonstances qui rentrait les colères qui faisaient si mal ? Croyait-elle que ce sourire lui apporterait ce qu’elle désirait le plus ? Il est vrai qu’elle récoltait pas mal de caramels et des poignées de cerises. la vieille qui passait sortait de la poche de son tablier une poire qu’elle avait ramassée ou un petit bonbon pour le prix du sourire. Il fallait être sage, ne rien demander, ne pas être présent, car l’ouvrage devait être rendu au magasin le samedi à six heures du soir. On l’arrimait sur les vélos et elle rapportait l’argent dont, comme elle disait, « il ne verrait jamais la couleur ».
Elle loua un jardin, un morceau de friche. C’est lui qui fit labourer par un vigneron du coin et qui bêcha, une première fois. Ce n’était pas assez bien fait à son goût à elle. Elle revint avec une bêche neuve et enfouit elle-même le fumier, sema, planta.
Il fut chargé de la corvée d’eau jusqu’à une certaine limite, un endroit ménagé entre deux planches de haricots, où il devait poser le tonneau rempli à ras bord. Chaque soir en rentrant du travail, il remplissait le tonneau à la pompe du village et le portait, sur une brouette, à l’endroit prescrit. Elle répartirait à l’aide d’un petit arrosoir, l’eau ainsi réchauffée et comme mûrie à l’air libre, au soleil quand il y en avait.
Il avait remarqué qu’il y avait mieux que la brouette. Souvent quand il rentrait du travail il passait vers chez le cousin Jean ou faisait un détour avec un copain, simplement pour prolonger le plaisir d’une conversation. Parfois il se prenait un petit quart d’heure pour aller voir sur le tas de ferrailles du chiffonnier. Il avait vu la fabrique « Choillot ». Un hangar abritait des voiturettes, une petite caisse montée sur deux roues de bicyclettes. Il examina plusieurs fois le montage et particulièrement la tige unique qui servait de guidon. Plusieurs soirs de suite, après le dîner il fit des dessins. Quand il crut avoir bien saisi son affaire, il plia le dernier carré de papier dans sa poche de bleu de travail et alla confronter modèle et réalité sur place.
A la forge entre midi et deux il courba le guidon, souda les montants. Le soir même il ponçait la poignée de bois et peu de jours après il demandait à Madeleine un crédit pour acheter deux jantes et des rayons de bicyclette. Elle se fit tirer l’oreille, se fit bien expliquer « le pourquoi de la chose ». Elle ne comprit rien aux données techniques mais eut l’intuition que cette choillotte comme tout le monde devait l’appeler par la suite serait pour elle surtout un engin des plus utiles. Fier comme Artaban. C’était l’expression. On disait toujours fier comme Artaban que personne n’avait jamais cherché à connaître. Fier de pouvoir faire quelque chose d’important. Il revint de chez le chiffonnier en pédalant droit sur sa selle, une seule main sur le guidon. Y était pour quelque chose, dans ce rayonnement, les deux grandes roues de vélo, fixées au travers de son dos qui lui faisaient comme une auréole dans le soleil et le tiraient en arrière et lui donnaient à la prise du vent plus de fraîcheur sur son sourire éclatant.
Pendant combien d’années, au fil des saisons, des récoltes et des livraisons serait en service ! Et les tonneaux d’eau et les tonneaux de merde et les tonneaux de pour les abeilles, et des tonneaux et des tonneaux tirés, poussés, bousculés. Et même, Cette fois -là, Je m’en souviens bien. Dans cette choillotte attachée à la moto. Et la moto vaut à elle seule toute une histoire. La Choillotte nous contenait toutes les deux ma soeur et moi, coincées entre deux paniers, l’un de pique-nique, l’autre d’attirail pour la pêche. Conduite à vive allure, dans le bruit et l’odeur somnifères de la pétarade, la choillotte se détacha de façon bien moins bruyante que le véhicule qui la tractait. Elle s’arrêta net au milieu de la route, nous dedans, appelant, hurlant : « papa, papa ! » en voyant notre père s’éloigner pour jamais. Ce ne fut qu’au bout d’un certain temps. Il dut se sentir plus rapide, donc plus léger qu’il perçut la situation. Il nous retrouva et dans quel état, au milieu de la route, toujours assises entre les deux paniers. Les longues gaules n’avaient même pas glissé.
Est-ce de ce jour là que naquit notre solidarité entre soeurs ?. Cette façon que nous avons gardée de nous blottir face aux colères, au danger, au manque de ce quelque chose. Cela qui fuyait toujours devant nos bras désespérément tendus.
La choillotte servait à tout et elle évitait à Madeleine de « porter » . Le médecin lui avait interdit de « porter » car depuis la naissance de sa fille, sa santé était mauvaise. Elle si mince était devenue maigre et plus pâle. Elle avait des rhumes fréquents, des migraines et des douleurs dans les chevilles et les poignets. Surtout elle était épuisée chaque mois par des règles trop abondantes. Elle avait consulté le médecin du chemin de fer qui lui avait prescrit des gouttes amères dont elle se servit une seule fois. Ces jours-là elle restait longtemps assise sur sa chaise de brodeuse. Elle était là à se poser des questions chaque fois qu’un caillot douceâtre s’écoulait dans la protection qu’elle avait mise au point.
La protection dite périodique était vendue en bonneterie. On la demandait furtivement, on achetait la douzaine sans vérifier. Elle se composait d’un carré de tissu éponge qu’on pliait comme les élégantes, leur cravate qui complète leur visage de soie ou de crêpe. On la retenait par des épingles fermées sur une ceinture qui cerclait la taille. Elle n’avait pas fait cette dépense. Elle prenait des carrés de vieux draps et en faisait une bande épaisse retenue par plusieurs épingles. Il fallait les changer souvent et les préparer pour la lessive. Le sang des menstrues était tenace. Elle mettait les linges à tremper dans une cuvette d’émail bleue dans l’eau et le vinaigre sous la pierre d’évier. Ce magma jaunâtre de sang qui allait se décolorant, je le découvris certainement très tôt. Il me devint insupportable quand j’eus à faire moi-même les mêmes trempages et lavages et quand me revenaient ces paroles « je ne peux pas me lever, je suis dans le sang ». Le médecin parla de fibrome et s’occupa surtout des rhumatismes articulaires ? Il fallait continuer à broder. Quand sa mère avait mal aux reins, elle allait cueillir une grosse poignée d’orties, de celles qui poussent dans l’angle des jardins, là où il y a eu du fumier sec, des orties fines bien urticantes. Elle soulevait les basques de son caracot et s’en frottait largement la région courbaturée. Il était normal que le traitement par le travail lui semblât le meilleur.Alors elle allait au jardin et se mettait à bêcher. La bêche et la choillotte étaient les deux pôles de leur vie.
Quand Madeleine eut plus de quatre -vingt ans, on lui proposa d’aller se reposer un mois chez les soeurs. C’était une maison de retraite tenue par des religieuses. Une de ces grandes demeures provençales qu’on avait enrichie dés
l’entrée de tableaux et de porcelaines fines.
Y faisait suite une très grande chapelle éclairée et haute comme une cathédrale où somnolaient en prière deux ou trois pensionnaires que l’âge déjà détachait du corps. Puis des salons, des bibliothèques, des couloirs qui débouchaient sur des commodes anciennes qui déroulaient leurs portes comme de vastes rideaux. Des plantes vertes ruisselantes de soleil devant des fenêtres basses qu’ombrageaient les platanes.On y voyait l’ordonnance du jardin, clos très haut par des murs couverts de vignes et de glycines derrière des buissons de roses. Tout était douillet, vaste pourtant et recueilli. Le lendemain de son arrivée, sortie de cet état d’hébétude où la plongeaient les sourires chaleureux et la religion. Elle réclama du travail « Mais vous êtes là pour vous reposer, Madame, Nous avons trois jardiniers, Madame « . Aurait-elle pu expliquer qu’elle voulait bêcher « Que bêcher, c’était se battre, décharger son agressivité contre cette vie qui la faisait trop vieille et lui faisait perdre la tête. Que bêcher c’était promesse de récoltes, de prise sur la vie qui ne vous donnait rien, à laquelle il fallait tout arracher avec force.Cette hargne qui la faisait enfoncer le fer dans la terre et la retourner pour y fouiller comme dans un tiroir où on espère parmi les papiers secrets découvrir enfin, la vérité.
Madeleine, ma mère, celle que j’appelle elle, dont je prononce le nom avec une indifférence hostile. En lui déniant un nom, un prénom, une identité, un point, car ce n’ était pas une personne mais un monde. Madeleine, ç’aurait été un habit, un parfum, un sourire, un unique quelque chose. Or c’était une tradition, un monde de travail, de calculs, de luttes, de roueries pour arriver à des fins qui nous dépassaient tous. De Mère je n’en avais pas davantage. Elle n’avait pas le temps, toute occupée à amener « ses petits sous frais ». Du jardin elle sortait des légumes à vendre, bon prix, bon poids et avec le sourire. L’argent elle l’accumulait au dessus de l’armoire dans une boîte en fer blanc décorée de deux chatons, une ancienne boîte à biscuits. A la coopérative et en ville, elle n’allait plus qu’une fois par semaine, reporter l’ouvrage et visiter quelques quincailleries ou magasins de meubles en vue d’un achat qui viderait d’un seul coup la boîte à « petits sous frais » Elle préférait rêver sur les catalogues. C’était plus vite fait.
Comment ? Pourquoi ?, ils changèrent très vite de maisons ? Ce fut le jeu des circonstances et de l’évolution normale de leur prospérité. Mon Père devait faire ses huit kilomètres à vélo pour aller travailler et quand, dés la porte passée, il devait s’atteler à la choillotte pour aller cueillir de choux ou porter du fumier, il avait dû protester certains jours violemment. Le village de Marsannay était distant seulement de six kilomètres. C’était moins la distance qui le poussait à faire le changement que la sympathie d’un copain. Un gars venu de Haute Marne, un ancien ferrailleur, tout rond, jovial et dont la femme était sourire et élégance.
Georges s’arrêtait quelquefois, le soir, une petite halte juste pour se réchauffer les pieds et tiédir le passe-montagne que la transpiration glaciale maintenant avait raidi à l’endroit du menton. Madame Baudin avait son enfant dans les bras, elle jouait avec elle, le posait doucement dans son berceau pour aller faire chauffer une tasse de café qu’elle servait toujours avec une soucoupe de porcelaine fine. A coup sûr ce pays était accueillant, on y vivrait mieux. Avec ce copain, on prendrait le temps de vivre, de bricoler, d’aller à la pêche et pourquoi pas faire de la photo. Car Baudin avait autant d’idées que de jovialité.
L’occasion il la guetta. Une location, un fond de cour mais sur la place du village. A deux ils firent le petit déménagement. Les Dames devinrent très vite des amies. Madame Baudin, Solange, bientôt achetait des légumes, oeufs, poule, lapins, fruits, elle n’avait jamais cultivé un jardin, elle s’intéressait seulement à ses toilettes. Madeleine se fit couturière. Mais dans sa logorrhée dominicale elle ne parlait jamais du bon temps, des amitiés de la jeunesse. Remontait à sa mémoire ce qu’elle appelait « ses malheurs » : sa belle-mère, les opérations. Une ou deux histoires apparaissaient parfois sans qu’on sache si elle les rapportait pour se disculper ou pour nous laisser juges. Elle racontait comment devant cette nouvelle maison ma soeur et peut être moi plus tard étions attachées à un arbre. En fait c’était le parc qui était fixé au gros platane qui ombrageait la place du village à quelques mètres de la maison. Nous étions placées, en cage, au carrefour. Cela pouvait paraître monstrueux, ce petit d’homme accroché aux barreaux de bois, tournant la tête vers le cheval qui partait labourer, peut être effrayé par la voiture qui du fond de la rue s’aventurait tout droit dans sa direction. Cela elle le rapportait comme une réussite.
Témoin, la Mère Colotte qui en passant sortait de son tablier replié une poignée de cerises, une grappe de sainfoin pour servir de hochet, pour qu’on fasse risette. Tout un monde de femmes qui s’arrêtaient, parlaient et à qui on disait « pipi, pipi », pour qu’elles nous sortent de ce parc. Il y avait certainement de la culpabilité dans cette évocation puisqu’elle revenait assez souvent. Que faisait donc cette mère, alors que nous étions livrées au regard public ?
Elle brodait, elle cousait, elle faisait de sa fenêtre un petit signe à celle qui nous parlait. L’air de dire « c’est bien, c’est bien, continuez, moi je n’ai pas le temps ».
Il sortait de ses mains des toilettes merveilleuses, elle connaissait le crêpe le plus fin, savait où faire plisser un jabot, trouver un bouton rond et doucement coloré comme un bouquet de myosotis. Elle savait orner et même fabriquer le chapeau, la ceinture, un assortiment complet qu’elle arborait fièrement à la messe du dimanche et qui elle le sentait écrasait toutes ces dames de la haute, quand les yeux baissés, d’un air qu’elle jugeait humble, elle revenait d’un pas retenu de la table de communion.
Ce qu’elle racontait, pourquoi en pleurant ? C’est le jour où son père lui a donné de l’argent et où elle avait vidé son livret de caisse d’épargne pour acheter une maison. On ne pouvait pas dire que c’était une maison. Elle ne se dressait pas isolée dans une cour avec buis, gravier et porte d’entrée comme celle d’en face. Elle avait un toit immense de tuiles brunes, un énorme capuchon avec plusieurs faces, une énorme pèlerine sur une grange. C’était cette grange, la réserve des moines qui y avaient fixé leurs plus grosses cuves, une sorte de cathédrale du vin, s’ élevant sur une terre battue. Le ciel s’entrecroisait d’énormes poutres seigneuriales. Dessus était couché le foin qui se glissait entre les interstices du plancher. De là on pouvait se glisser dans les greniers, longs, vides, qui sentaient en permanence la suie. On redescendait dans une sorte de cagibi sombre derrière sa petite fenêtre à barreaux. Une grande salle toute sombre, une énorme cheminée, des murs où coulait le bistre, le tout collé à cette immense grange comme une cache troglodyte.
On grimpait sur la façade par un escalier usé qui épousait la forme des celliers du sous sol.
C’était peut être là l’origine de ses pleurs. Donner sa dot pour un tel chantier. Mais aussi quelle émotion d’avoir désormais sa maison. Et non pas comme les gens du chemin de fer, un logement en brique, aligné sur une rue, mais une maison donnant sur une portion de cour, avec derrière un jardin, une grange, une chambre à four, une cour pour les poules et des voisins, un vieil avare et son fils qui ne dérangeaient rien.
Le temps que Pépé employa à refaire de ce taudis un logement fut toujours évoqué comme un mélange de dur travail et de joie. Parce qu’il y avait le copain Christian. Tous deux rentraient tôt du chemin de fer, posaient leur vélo, prenaient leur goûter comme des enfants, pain et chocolat ou pain et saucisson cuit. Puis ils travaillaient, ils couraient le lendemain, avant de repartir à Perrigny, voir si le plâtre avait tenu, si le serre-joint devait tenir encore. Ils apprenaient à eux deux, un métier. Très tard il nous racontait deux épisodes que sa mémoire, si peu bavarde avait retenu. Le jour où il apprit à faire tenir du plâtre. Ils devaient en être aux finitions. Ils avaient taloché au plafond une belle couche crémeuse sur laquelle ils avaient refermé la porte avant d’aller boire un tout petit verre de rosé et de se séparer jusqu’au lendemain. Dés l ‘aube ils se retrouvèrent pour voir. Tout le plâtre était par terre ! Ils se regardèrent, à la fois découragés, car les épaules et la nuque leur faisaient encore mal et amusés par leur propre échec. Ils rigolèrent, prirent leurs vélos et tout le long du trajet émirent des hypothèses sur la manière de traiter cette matière et la vaincre. A midi un copain leur avait fourni le renseignement. Il fallait mouiller la surface à enduire auparavant. A chaque fois que Pépé refaisait du plâtre, il racontait cette histoire et rigolait pour qu’elle serve de leçon aux autres.
Il y avait un autre épisode, et je crois que ce sont les deux seuls qu’il raconta de cette longue période qui physiquement l’avait épuisé. Le jour où les femmes les avaient laissés seuls. Il avait vécu cela comme une telle libération qu’un sourire coquin lui caressait les lèvres comme s’ils avaient eu ce jour-là une aventure de régiment. Il la racontait cette journée, au printemps, quand je servais les petits pois du jardin à « la première cueillie » .
Ils avaient travaillé dans la maison, très dur tout le matin et sur le coup de midi avaient ouvert le panier. Des petits pois à cuire avec du lard, des fraises et un pot de crème. alors ils avaient tous les deux inventé un vrai plat avec lardons et échalotes, persil et feuilles de laitues, ils avaient tout trouvé et même une chopine de blanc. Une cocotte pleine à ras bord. Ensuite une jatte de fraises écrasées, adoucies de crème dans laquelle ils trempaient tour à tour leur pain. Des pois, des fraises, ils en mangeaient sauvent, les clients de Madeleine en laissaient encore, mais ceux-là avaient été si différents qu’à soixante dix ans, à la saison des petits pois, ils revenaient à sa mémoire et il en riait encore et on l’écoutait comme on écoute des histoires d’amour.
Je ne me rappelle pas avoir été heureuse dans cette maison, à l’intérieur de cette pièce que nous occupions tout le temps : la cuisine, la salle à manger n’a servi que pour la communion de ma soeur et ses fiançailles avec un officier russe. Le reste, la grande chambre, c’est ma soeur, c’est notre vie à deux, sa maladie, la mienne, une autre vie. Le cagibi qui suivait, c’est pour moi, le froid glacial, les peurs, la guerre. La cuisine c’était la famille. Un souvenir paisible me revient. Un après-midi sur la table ma mère nous apprit à jouer aux osselets . Elle était, comme toujours, prodigieusement habile de ses mains. Elle faisait rebondir à intervalles réguliers une petite balle de mousse de caoutchouc et entre eux, elle chipait rapidement un osselet, puis deux, quatre, cinq. Ensuite elle les retournait sur le dos, sur le creux, sur un côté, sur quatre faces différentes, tout cela toujours pendant le rebond de la balle. Tout l’après-midi, pendant les jours, les mois, les années qui suivirent nous avons joué et suivi son exemple. Mais j’étais déjà grande.
Le souvenir le plus ancien, c’est celui des moments passés sous la table. Sans doute on m’a toujours raconté qu’à la moindre sottise faite, je me cachais sous la table où je m’asseyais. Ainsi il était plus difficile aux lanières du martinet de m’atteindre. Je me le rappelle parce qu’on me l’a dit. Peut être en tout cas les émotions sont toujours bien vivantes en moi. D’abord les quatre pieds tutélaires d’une table vue par en-dessous. Le tiroir au bord mal dégrossi, quelques trous de vers ou une écharde, un dais sans gloire qui devient illusoire paratonnerre. Car rien ne se passe au-dessus mais à côté. Les deux jambes de mon père qui arrive du travail. Ma mère crie et l’excite en lui racontant ce que j’ai « encore fait ». Je sens la fatigue de mon père qui vient à peine de poser son vélo et qui a faim. Je vois sa rancoeur contre sa femme qui ne sait pas l’accueillir avec tendresse, ses rêves mis au placard, cette misère dont il ne peut pas sortir, cette misère du coeur, sa fille repliée sous la table. C’est sûr, elle attend un châtiment. C’est sûr, on l’attend pour qu’il le donne. Je garde encore en moi, le froid du pavé sous les fesses et le sacrum est devenu l’endroit le plus sensible aux caresses.
Curieuse alchimie de la fessée et de la tendresse au souvenir d’un père que je n’accuse jamais. Par quel Oedipe, je rejette tout sur la mère, l’incitatrice, celle qui l’exaspérait au point de battre celle qu’il aimait. Quel fond de sadisme, de masochisme pour construire une vie. Quel travail ensuite pour se glisser dans le dédale des sensations,pour essayer de comprendre, de voir la lumière au bout d’un tunnel long de cinquante ans.
Je n’ai jamais pris possession de cette maison . Ce que j’ai vécu c’est à l’extérieur. Sous la véranda où je passais tout mon temps avec mes gros dictionnaires à faire des versions et des thèmes grecs ou à rêver, à écrire des rêves, quand l’après-midi était plus doux. J’aimais l’odeur des mirabelles qui séchaient dans un panier. J’ai vécu à la grange, accroupie devant les cages à lapins, écoutant les petits bruits qu’ils faisaient avec leurs dents en cassant les tiges de luzernes ou bien jouant avec Irène à la balançoire. On ne s’arrêtait que pour aller faire pipi derrière la grande cuve, près du puisard dans un amas de poussière et de haricots fanés. C’est à la grange qu ‘on vivait, nous les exclus de la maison, nous qui oubliions de mettre les patins, qui n’osions paraître de peur de salir ou de nous voir aussitôt infliger une corvée. Les vastes dimensions de la grange faisaient comme un grand ciel dont les odeurs mêmes étaient évasions. L’odeur du bois qui séchait pour le chauffage, la créosote des traverses que le chemin de fer fournissait et qui servaient souvent à entourer les jardins d’une palissade aussi hideuse que haute et la senteur blonde des copeaux de bois qui sortaient de la varlope.
A grands lancement des bras, Pépé toujours souriant, émettant un timide sifflement d’aise entre ses lèvres serrées, arrivait jusqu’à notre visage émerveillé. On se tenait au bout de l’établi, Irène et moi, à qui ramasserait la première, le plus long copeau pour s’en faire des « Anglaises ». C’était la mode des coiffures tirebouchonnées. On regardait la planche, on aurait bien voulu faire comme lui.
Je fis deux créations, des échasses et un jeu de croquet. Enfin, ce qui devait s’appeler ainsi. Pour les premières, je volais deux « paisseaux » de vignes très longs, dont on se servait pour ramer les haricots. Je dénichai deux petits morceaux de planche carrés et j’utilisai une demi-boîte de clous pour ajuster tout cela. Le résultat ressembla à une échasse, pendant deux minutes, le temps de monter dessus et de faire deux pas, tout s’était écroulé.
Quant à l’autre jeu, il dura un après -midi. Avec à peu près le même genre de matériau, un bâton auquel j’avais accolé à l’extrémité un morceau de bûche ronde. La balle fut une pomme de terre et les arceaux des tailles de vignes recourbées.Tandis que nos deux moutons broutaient dans notre dos, nous jouâmes Irène et moi tout l’après-midi sur la route goudronnée. Les pommes de terre éclatèrent les premières puis les maillets se se fendirent ou se disloquèrent.
Comment un si bref moment peut-il avoir tant d’impact, dans une vie ? Peut être était-ce le premier travail que je faisais seule, presque en cachette. Je me souviens avec quel tremblement fébrile je passais la plane (qui, aiguisée, ne m’étais jamais permise) pour enlever l’écorce du morceau de rondin. Je la revois cette écorce sèche avec sa chevelure qui s’en allait en filaments noirs au dessus d’un aubier rouge comme ces têtes que les Ligures avaient laissé pendre au fronton de leurs temples. Chez nous on n’achetait rien, on réalisait tout. C’était de la misère, de l’avarice et de la fierté.
On ne mesure pas assez le ravage que fait l’argent chez ceux qui peuvent n’en avoir pas assez. Ce qu’elle reprochait à « ceux du chemin de fer », c’était leur insouciance. Elle devait dans son for intérieur, les envier, mais elle les blâmait. Ces dépensières, celles qui revenaient du marché avec des éclairs au chocolat et du rôti tout cuit. Les heureuses de dépenser leurs sous n’importe comment en se laissant tenter. Le dimanche elles n’allaient pas toujours à la messe, elles couraient dans les bois à l’époque du muguet ou allaient se promener le nez en l’air, en bavardant le long des vignes, en laissant la vaisselle sur l’évier !
Elle les repoussait d’autant plus qu’elle sentait chez son mari une certaine veulerie qui l’aurait rapidement fait basculer de leurs côtés. Elle le voyait bien à certaines périodes.
Par exemple, le soir au lieu de faire une anse de panier ou de ressemeler une chaussure, il sortit une liasse de « feuilles de wagon » et se mit à dessiner des marguerites géantes pour essayer de les sculpter ensuite sur un carré de peuplier qu’on lui avait donné. A quoi ça servait de dessiner et de sculpter une marguerite ? Est-ce qu’on avait besoin de moule à beurre ou de coffret ? A qui on vendrait tout ce temps perdu ? C’était comme un commencement de la débauche. D’ailleurs c’était comme le demi -verre de vin qu’il avait réclamé pour ses quatre heures. Elle avait soupiré très fort en le versant et avait d’un coup sec du tranchant de la main tassé le bouchon dans un mouvement rageur, qu’il avait bien vu, pour lequel il aurait dû élever la voix, pour lequel il avait seulement haussé les épaules, claqué la porte, enfilé à grands bruits ses sabots pour aller se réfugier dans la grange.
Notre lieu à nous, la grange. Elle n’y venait que pour soigner les lapins, ranger sa choillotte et chercher le bois pour la cuisinière si nous n’avions pas nous-mêmes fait ces corvées.
La grange était son lieu de repos, à lui, son « rêvoir ». Il ne se fabriquait pas des vies impossibles, sachant qu’on naît avec des idées de liberté et qu’on abandonne petit à petit toute velleité jusqu’à se laisser grignoter par les autres, par le travail et par l’âge. Il rêvait plutôt d’un présent moins âpre, d’une main plus douce, d’une maison plus chaude. Avec cette nostalgie qu’il ressentait en rentrant du travail, l’ hiver, la lumière de son vélo éclairant à peine sa roue avant, il voyait au bout de la rue, dans le noir la fenêtre d’une maison, comme un carré de lumière qu’on aurait dessiné pour lui.
Cette idée, il la liait à Solange. Chez elle, ça sentait la cuisine et la lessive, les fruits mûrs, le savon cadum. Il s’arrêtait quelques minutes juste pour dire bonsoir, pour « respirer » se disait-il. Plus loin, c’était chez lui, l’odeur du propre, du net, du savon noir, le linge blanc bien plié sur une tablette, le tambour à broder fermé dans son papier de soie.
Un après-midi, vers cinq heures, il fut surpris de voir Solange, assise près de la fenêtre, penchée sur un tambour en train de broder. « Madeleine m’a dit d’essayer, ça me plaît, on verra bien ce que ça donnera ». Elle n ‘avait pas le geste précis et sec de la brodeuse, les écheveaux de couleur étaient pêle-mêle dans une corbeille posée de guingois sur la travailleuse. Elle perçait avec précaution la toile de lin bien tendue en s’appliquant à compter les fils d’un point de croix. Elle abandonnerait vite, ça se voyait. Elle avait imaginé qu’elle sortirait de sa passivité. Comme Madeleine, elle aurait quelque chose à montrer aux autres, quelque chose d’elle-même qui la ferait « voir » un peu, dire qu’elle existait, elle aussi. C’est à ce moment-là qu’il vit sur sa nuque le peigne de son chignon glisser imperceptiblement. Le mouvement de bras tirant le fil avait dû imprimer de fines secousses dans l‘édifice de la chevelure. Il eut envie de sentir sous la main cette masse qui glissait comme une caresse. Il eut un mouvement brusque, se tourna vers l’horloge bleue, cadeau des chocolats « Suchard », et dit, c’est déjà cette heure-là , Alors Salut, bonne continuation.
ENFANCES
de la fin du vingtième siècle
Ce serait peut être Odette Devaux qui m’aurait décidée à écrire pour le futur pour les enfants quand ils seront plus grands et c’est bientôt. Ils se chercheront et aimeront confirmer leurs souvenirs par les notes prises au cours de leur vie par leur grand mère.
Nous sommes allés au Parc St Mitre voir un spectacle. J’ai été étonnée de voir comment Gabrielle participait au spectacle, pourtant le décor et les acteurs manquaient de richesse et l’accueil avait été un peu effrayant. En effet dés l’entrée, une petite fille de son âge, handicapée, s’est jetée sur elle pour lui dire bonjour, mais à sa manière, celle des monstres dont le sourire est trop grand et montre les dents. J’ai expliqué que la petite avait un cerveau où des nerfs ne fonctionnaient pas bien. Gabrielle est restée songeuse, un peu gênée regardant à la dérobée cette fillette qui parlait mal et fort, jusqu’au moment où son papa est venu la prendre dans ses bras pour l’attacher à un siège, face au spectacle. La Gabrielle a vu ses pieds mal formés, qui trainaient. Elle a vu qu’elle ne pouvait pas marcher. Toujours le langage du corps. Et la petite fille en était privée. Et elle a compati. Et c’est cela qui lui est resté le plus en mémoire.
Ce qu’elle a retenu du spectacle c’est qu’elle a osé participer. Aller jouer du tambourin pendant que la danseuse esquissait quelques pas et recevoir un pin’s, que pendant toute la séance, elle a pris soin de ne pas perdre, hésitant entre me le confier, le garder dans la main ou l’enfouir dans une poche qui ne lui paraissait pas assez profonde. Quand on a demandé les enfants « qui ont leur anniversaire aujourd’hui ? », pour souffler les bougies du gâteau. Honnêtement elle a hésité quand je lui ai dit « si ça te plaît, vas -y, » mais, c’est pas mon anniversaire. Vas y quand même, les petites tricheries sont parfois nécessaires dans la vie quand elles se déroulent sur un très grand fond d’honnêteté.
Pour le moment le métier de Thomas sera « Moniteur d ‘espace(s) », il contrôlera les planètes pour éviter qu’elles ne se rencontrent. Très prudent notre Thomas, trop parfois, plus héroïque en paroles qu’en actes…
Que dire de Naomi, de sa vivacité de sa gentillesse et de ses sottises. Je m’interroge depuis toujours sur cette manière qu’elle a de faire le plus de dégâts possibles, quand on ne l ‘écoute pas, quand on n’est pas à sa disposition. Beaucoup d’enfants le font mais chez elle c’est disproportionné. Il faut qu’on l’admire, qu’on la remarque. Et pourtant quand elle s’efface, quelle adorable petite chatte qu’on a envie de caresser. Elle me dit un soir que Celony c’était très bien, mais que les caresses de sa maman, c’était mieux et qu’elle lui chantait des chansons en anglais, La douceur de sa maman et sa voix douce parfois comme un pépiement d’oiseaux des Iles.
Sans cesse entreprendre, se précipiter pour agir au plus vite et la première, ne pas laisser une seconde au doute ou à l’hésitation, très adroite, très artiste par sa façon d’aimer les traits, les couleurs, sachant déjà les distinguer, les combiner. Je veux être designer comme mon papa.
Bien sûr, mais naïvement emportant trois carottes dans un sac pour mettre dans le trou d’un lapin, qu’on trouvera dans les bois de Puyricard et qu’on oublie totalement après avoir donné carottes et herbe au premier cheval rencontré…
Nous recevons début mai la première lettre de Gabrielle. Elle vient de Bretagne, l’enveloppe est en lettres « en boucle », faite avec application et ratures. Elle contient un dessin qui nous étonne. A droite un grand immeuble avec une porte noire, grillagée de vert, au dessus un écriteau « aparteman » toutes les fenêtres peintes en bleu sont fermées à gauche de même grandeur une sorte de femme géante sur des patins à roulettes, étonnant son visage fermé, sévère avec une bouche rose comme cousue.
Quand je demanderai quelques heures plus tard au téléphone, elle me répondra que l’appartement est une prison et que la petite fille veut jouer, elle est gaie, elle veut rire et ne veut pas aller en prison . Mystère.
Le premier mai arrivent Naomi et son papa. Elle se déguise en arrivant. Une robe bleue brodée et une combinaison dorée. Elle a mis mes chaussures blanches, les cheveux remontés en chignon surmontés d’une couronne dorée. Elle est superbe. Je lui dis qu’elle serait bien la reine d’Arles . Alors elle est la reine d’Arles et devant Truida elle arpente comme elle peut avec les souliers bien encombrants, la véranda. Avec Truida Nous lui faisons la révérence. Elle veut aussitôt nous imiter et Truida lui apprend à mettre le pied en arrière et à fléchir les genoux en tenant la robe. Mais chez elle ça devient immédiatement une mimique, une acrobatie naïvement dérisoire qui n’a pas fini de nous amuser.
Thomas aimerait bien que je répande sous la véranda du poison pour les fourmis,ça le tente .
Sa petite soeur pourrait être tentée d’y toucher, c’est ma réponse et la sienne, « c’est tentant » et moi je me souviens de cette séance de gestalthérapie où une fille était envahie par le remords, la soeur était morte en avalant des médicaments et elle quand elle était plus petite l’incitait tout le temps à y goûter.
La passion de Thomas ce serait de tuer les fourmis, sujet de dilemme, moi je ne m’y oppose pas, elles sont nombreuses, elles sont nuisibles pour les fleurs à cet endroit. Francine l'interdit par respect pour la vie, Thomas s’interroge ? Qui a raison ? Celui qui n’impose aucune contrainte ou nous, les Vieux, qui croyons encore à une autre forme d’éducation à barrières
Chloé me considère avec réticence, et je vois dans ses yeux comment je regardais ma propre grand mère qui voulait me discipliner . Assez dur pour moi ces souvenirs d’enfance . J’approuve sa vitalité, le droit de dire « non » à son âge et en même temps je voudrais quelques limites à ses débordements, ses invectives ses façons de jeter à la figure ce qu’elle ne veut pas. C’est une interrogation. Il faudrait être plus serein.
Le dimanche 1er août 1993 Gabrielle s’est transformée en grand Vizir qui garde le trésor de la reine, c’est moi qui ai donné le coffret qui vient de Tchèquie et la combinaison secrète pour l’ouvrir. J’ai mis dedans toutes les monnaies rapportées des pays étrangers et qui s ‘entassaient dans un tiroir. Elle passe beaucoup d’heures à ouvrir, fermer, compter le trésor. Elle compte bien et avec application. Elle fait un message secret pour l’intérieur du couvercle, il sera dissimulé par une glace. Elle replace celle-ci habilement avec beaucoup de soin. Elle pose le coffre sur un coussin avant de le transporter dans une cachette. Car c’est ainsi comme dans les livres que les trésors se posent sur des coussins.
En jouant, je la menace, en tant que reine, de lui couper la tête s’il manque de l’argent dans le trésor. Elle recompte, il manque une pièce, je la menace. Elle réfléchit, se met devant moi et me tient le raisonnement suivant : Reine, si vous me coupez la tête, vous n’aurez plus de grand Vizir pour garder le trésor et si des voleurs viennent ? Hein ?
Les enfants ont joué dans le torrent . Thomas, Chloé, Naomi, Chloé est particulièrement à l’aise dans l’eau glacée, son plaisir est de patauger et surtout inlassablement de lancer des cailloux dans l’eau et de s’arrêter sur les sentiers pour en remplir ses poches…. Elle est déjà une petite bonne femme, très décidée et très costaud….Elle vient de grimper toute seule sur un pierrier puis sur un gros rocher pour finir en beauté et par plaisir…Thomas, toujours maigre s’aventure dans l’eau sans grand appétit. Il goûte volontiers du pied, de la main s’il y a édification d’un barrage ou d’une piscine, à ce moment-là il s’active. Naomi est la bâtisseuse, elle a une force incroyable pour soulever de gros cailloux et réaliser quelque chose…Elle fait des pâtés de sable avec beaucoup d’énergie et de sérieux. Elle ne s’en distrait que pour accaparer le jeu des autres.
Marie glisse sur un tobogan de sable jusqu’à ce qu’elle ait le derrière dans l’eau.
Il fait un vent glacial ou bien il pleut, les cinq enfants se réfugient dans la caravane et dessinent avec application. Naomi a fait un indien marron « parce qu’il vit en Afrique ». il a des mains et des pieds énormes comme des choux fleurs.
La nuit dernière, juste avant de m’endormir, j’entends des hurlements de terreur. Je crains toujours le pire. J’accours, malgré le froid, en chemise, Gaby est debout dans la tente, trempée de la tête aux pieds... Elle et Marie hurlent car elles ont peur que leur maman ne soit partie pour toujours.Pourquoi ne les a t’elle pas entendu appeler, Pourquoi elle n’a pas raconté l’histoire au coucher ? Elle est chez les Embarek, je retrouve un lit, une histoire, la lumière et j’attends avec elles le retour apaisant de Christine.
Naomi est assagie mais reste très spontanée et inventive à côté de Gaby, C’est elle qui amorce le dialogue et pose les questions souvent essentielles et déroutantes. Elle a beaucoup d’assurance et quelle que soit la chose que l’on distribue, elle a toujours la première, la main impérativement tendue et dit « moi, d’abord » . Elle marche et joue jusqu’à épuisement, car en fin de course, les larmes coulent, elle suce son pouce et s’endort très vite.
Gaby et Naomi écoutent les histoires d’Hercule, de la naissance du monde ou de l’Odyssée avec la bouche ouverte et les yeux ronds avec une attention fascinante et fascinée. Quand Coco, le soir, veut raconter une histoire à Naomi en commençant par « il était une fois une marmotte » elle l’interrompt en lui disant : « toujours des marmottes, des écureuils, des petits lapins »…y en a marre de ces histoires - là.
Nous partons… pour la rencontre des 60 montagnards… Gaby et Marie se fondent dans le groupe et nous ne les voyons que très peu.
Thomas est avec son papa à la recherche des cèpes, je pense qu’il a bien marché et a été content de trouver deux gros champignons. Je l’aperçois sur un pré derrière la maison, tout seul, un branchage à la main, il pense, déambule, ça lui convient ce soliloque.
Chloé court avec les autres enfants, est prête à sauter sur les vaches et s’ébat sportivement. C’est un vrai plaisir que de voir ces quatre petits grandir.
Voici que les Calamotte arrivent pour dîner avec leur petit Raphaël, un beau garçon de neuf ans et qui sait lire ! Il faut les voir tous les deux Naomi et lui sur le canapé. Il lit très bien et elle l’écoute en se blottissant contre lui. Il sait jouer du piano. Elle décide de se déguiser. Elle le fait avec soin. Je suis chargée d’ajuster la robe-combinaison rebrodée, la ceinture et le maquillage. Elle est superbe. Elle se perche comme une star sur la grande chaise du piano et Raphaël debout devant l’instrument joue avec un très grand sérieux.
Quand le soir, je lui demande ce qu’elle pense de ce Raphaël, elle répond avec une très grande simplicité : « c’est un garçon qui tient ses promesses ». Où a t’elle pris cet air de bon ton pour émettre un tel jugement et qu’est ce que cela représente pour elle ?
le vendredi 25 février Départ pour Paris de Francine avec Chloé et Thomas. Nous les avons accompagnés à la gare St Charles. Thomas est anxieux de nous voir nous attarder sur le quai alors que le train pourrait partir. Chloé avait fait le pitre dans le train. Elle est toujours très vivante, gaie, impérative. Elle sait ce qu’elle veut et le réclame haut et fort. Elle ne parle pas distinctement mais s’explique et disserte dans un discours incohérent où il y a plus de dentales que de consonnes mouillées. Dans les magasins elle veut des bonbons, des gâteaux, tout ce qui se mange et se mâche. Elle veut goûter à tout, aucune nourriture ne passe ou ne se fait à proximité sans attirer son attention. Elle veut participer.
Thomas a profité de son séjour pour bouger, courir, commander les filles. Très actif, il a dessiné, joué, construit. Au jeu, il aime gagner « des sous ». Il a demandé d’apprendre à jouer aux échecs. Claude lui a appris les premiers rudiments. Il est observateur et en redemande. Par moment il est drôle, il dit à Marie « tu viendras coucher avec moi, j’te raconterai mes cauchemars et mes rêves ». Marie n’a pas tenu très longtemps dans son lit.
Elle est toujours admirative. Elle observe. Il y a eu une séance de déguisement. Elle avait une perruque blonde, un chapeau cloche et se tenait toute droite avec son sac à main sur le bord du fauteuil, comme la Reine d’Angleterre pendant une interview.
Gabrielle avait un léger déshabillé framboise et un grand chapeau à large bord qui la rendait très élégante et elle dansait « librement » avec tout son corps, sans recherches, sans style « appris » en harmonie avec elle-même. C’était très beau et elle s’en fichait !
Quant à Thomas, il a descendu l’escalier avec une perruque blonde, un grand chapeau, une espèce de jupe,
très élégant, mais comme c’était un peu féminin, bien qu’il se soit appelé « la vieille », Il s’est transformé en bandit avec une épée mais une culotte en dentelle !
Chloé tenait du putti italien et de la cocotte en herbe dans une nuisette transparente où on ne voyait que ses deux petites fesses potelées…
Mercredi 2 mars 1994. Nous partons vers les Cêdres, mais nous nous arrêtons à Cadenet. Nous y grimpons pour visiter le château qui se reconstruit au sommet de la colline. C’est une succession de cavités, de murs, escaliers, ponts que Marie découvre avec ravissement. Elle entre comme une souris dans tous les trous et nous la suivons pour déboucher dans des salles, des labyrinthes ou des esplanades…
le vendredi 4 mars, les demoiselles s’en vont toute fragiles, assises à l’arrière de la « Volvo ». Nous quittons à regret ces filles si gentilles, si gaies et si aimantes. Nous gardons en commun le souvenir des jeux olympiques vus à la télé, le patinage que les filles reproduisent sur une musique grecque. Le triple lutz qui ensuite est classé par le jury ( la soeur ), tandis qu’elle annonce les scores et places 1-1-1-1-1, l’autre se tient debout sur le dos du canapé dans une attitude de vainqueur et on applaudit…
le dimanche 27 mars. Nous étions allés à la plage du Rouet par un vent si fort qu’il était difficile de tenir debout. des surfeurs comme des grenouilles s’agitaient dans l’eau et seulement un ou deux pouvaient grimper sur leur planche. Nous avons préféré à l’intérieur, monter vers la chapelle du Rouet, en haut, les arbres sont tellement pris par le vent qu’ils poussent à l’horizontale, ce qui fait de beaux chevaux de bois pour s’asseoir et manger son goûter.
Nous sommes allés mardi à Ikea. les deux filles sont restées plus d’une heure à jouer dans les balles au coin d’enfants. Je leur ai acheté deux chats gris en peluche. Elles étaient contentes mais l’ énorme jaguar et le grand lapin marron leur faisaient bien envie, mais elles ont été, disaient-elles « raisonnables ».
le vendredi 8 juillet, arrivée à Celony avec leur grand père Jacques de Thomas, Chloé…
Nous trouvons une jolie petite fille blonde, élégante, souriante et qui parle un charabia difficile à saisir sauf « son » histoire -devinette qu’on lui fait répéter à loisir .
Elle a bien du mal à dire : « quel est l’animal qui vit dans la mer » ? réponse de tous : le poisson. Elle est ravie et on recommence . l’autre moment qui ravit le grand père Jacques, c’est « le câlin forcé » . Elle s’assied sur les genoux du grand père. la position est toujours la même, de dos, les deux bras croisés, mains sur les épaules bien serrées contre la poitrine. Le grand-père l’entoure de ses bras, fait semblant de la serrer très fort, Elle crie obligatoirement « maman », on rit, elle recommence.
Quant à Thomas, malgré l’admiration que sa soeur a pour lui, elle l’appelle pour la secourir et aussi pour tout partager avec lui. il prend un peu ses distances…Très mince, pas très énergique, mais pétillant d’intelligence et de malice. Il a fait un dessin pour Coco, au milieu de bicyclettes et avion qui doivent symboliser le sport, Coco est sur le podium des vainqueurs, le Numéro 1.
Gabrielle dans un tout autre point de vue « pour Coco » a envoyé sa carte d’Europe avec quelques états mis en valeur par la couleur. Des façons différentes d’appréhender le monde.
Thomas : Il a une personnalité très attachante, très astucieuse…On joue aux dominos, aux échecs, aux dames. Très vite….les règles l’ennuient. Il dévie la marche des pions, à son profit, invente de nouvelles donnes. Ce qui est très intéressant et donne lieu à la scène suivante. On joue à la bataille. Très vite il s’aperçoit qu’il ne gagne pas. Il redistribue les cartes et s’octroie un jocker tout puissant qu’il peut sortir à tout moment. Au bout de quelques minutes, il a ramassé toutes les cartes. Je lui explique que le jeu n’a aucun intérêt, s’il est disproportionné en forces. Il écoute avec un très grand intérêt cette remarque mais préfère abandonner le jeu. C’est assez caractéristique de la pensée enfantine la toute puissance, le narcissisme. C’est bien de son âge.
Il y a le goûter chez Georgette…pour le premier mai on ira lui porter du muguet, mais nous n’avons pas de muguet alors nous allons nous costumer en muguet. Je commence à tailler des collerettes dans un tissu vert et pense faire une sorte de diadème, mais Gaby a une idée. Elle me dessine un chapeau en forme de cloche avec une tige, pas facile à réaliser et bien réussi, on fabrique une clochette blanche et une tige verte et le chapeau est ravissant, le reste du tissu servira pour les jupes que Gaby veut dentelées comme les collerettes. Elles sont ravies et ravissantes .
Le 24 juin. Gaby et Marie font la fête de l’école et nous allons y assister. Gaby sera un des personnages du pique-nique et Marie une danseuse russe. Le rôle de Gaby n’est pas bien compliqué, c’est surtout de la figuration et elle y réussit très bien. Marie danse avec décision et énergie et gare si son partenaire se trompe, mais la suite est plus intéressante parce qu’il y a des jeux : la pêche à la ligne et le jeu de massacre. On y gagne toujours quelques menus trésors.
le 3 juin 1995. Nous revenons de Ploumanac’h. Miracle, en une semaine Marie a appris à aller en vélo et est très à l’aise sur son engin. Nous irons faire une promenade au camping de Cormery. Nous nous asseyons au bord de l’Indre. Je sors de ma poche le papier « Top Secret » que chacune de nous a rédigé. Le mien dit que Gaby et Marie pourraient être des sorcières et posséder la pierre magique. Qu’est ce que tu demanderais, toi, Marie, à cette pierre « un gros sac de bijoux » et toi Gaby ? « Moi, comme on l’aurait trouvée sur la lune, je lui demanderais de couvrir d’arbres et de fleurs, la lune, comme la terre » …
Au terrain de jeux de Ceignac…Nous avons joué au golf, pas facile le mini-golf. Gabrielle montre des dispositions, le sens de l’observation et du geste, elle marque les scores avec application et scrupuleusement. Marie pendant ce temps s’exerce ou fait des galipettes sur les installations…
le 18 juillet 1995. Au camp de la Rosière , Chloé a grandi et bavarde, elle prononce mieux les mots, elle est « mise en verbe », elle court, marche, et veut jouer avec les grands. Elle peut passer inaperçue ou s’imposer violemment…
Thomas a ses instruments de précision : boussole, chronomètre. Mais je crois qu’il préfère se retrouver. Il vient de découvrir le feu, mettre des brindilles, faire des flammes, souffler, mais il ne connaît ni les limites et les dangers, il faut le surveiller, il joue avec Gabrielle et/ou Marie. Les jeux sont différents. Avec Gabrielle il installe la cabane et fait le feu. Il est aux ordres de Gaby ; avec Marie il joue avec ses raquettes, domine. Marie est tellement admirative qu’il fait le mariole.
Le 16 août, promenade au lac de Guery… près du lac nous pique-niquons à côté du matériel d’escalade qui n’a jamais servi.
Thomas d’abord tout nu avec Naomi et Chloé pour la baignade revient et met le baudrier, tout nu avec l’arnachement neuf. Il ressemble déjà à un extra-terrestre, mais le plus rigolo c’est qu’il passe son zizi par un trou de mousqueton et montre son « passe-zizi », ce qui amuse énormément Chloé et Naomi.
le bénitier d’Orcival . Nous visitons l’église d’ Orcival où la consigne a été donnée : on ne parle pas, on ne court pas, c’est une église.Tout se passe bien. Le cadre impose le respect et il y a beaucoup de cierges, ça leur plaît. On s’approche de l’autel pour voir tout ce qui brille. A la gauche du choeur en repartant, il y a un grand bénitier et voilà d’un seul coup, Thomas saute dedans .(on lui avait promis de faire de l’escalade). Stupeur, Il reçoit une gifle…Il ne savait pas ce qu’était un bénitier, et c’est rigolo de faire « le diable dans un bénitier » mais voilà, ça n’a pas été vu comme ça par tout le monde.
Noël 1995, dans le chalet de la fournière d’en haut, aux Rousses...Gaby écrit des poèmes. Elle me rappelle celui qu’elle a composé pour moi ?
la Mer :
« Elle était belle la mer
Toute pleine de sel
Et puis Mémé
Elle aimait bien ses crustacés »
C’est sans doute pour cela que j’ai reçu en cadeaux, un plat et un couteau pour les huîtres.
Les quatre réclament toujours des histoires d’ Hercule. Je dois revoir la mythologie.
Thomas regarde le feu, toujours fasciné devant la cheminée. Dommage qu’il n’ait pas le droit d’y toucher.
À Brighton, Elle (Naomi) voudrait bien attraper un nounours ou une peluche dans les machines infernales dont le crochet ne lui rapporte rien. Elle est déçue mais ne se fâche pas. Elle nous emmène vers « son cheval », sûre de l’itinéraire et brusquement s’arrête « Je suis perdue » .
Elle a de la volonté, elle encaisse les coups du sort…. Elle fait d’abord un dessin d’enfant représentant tous les éléments de ses découvertes : crabe mort, coquillages. Elle a fait le dessin sur son grand cahier avec une page d’inscription, suite à nos deux portraits. Et sans qu’on ne l’ait vue, sur la page, là, elle a fait une merveille : le château arabe de Brighton, mélange du palais que nous avons longé en ville et des constructions de la jetée, les reflets dans l’eau dans un ordre tout arabe. C’est une merveille. Je le vois bien encadré, ce tableau.
En avril 1996…Gaby triture une mauvaise guitare et improvise avant le coucher une représentation où je chante ses poèmes tandis qu’elle fait de la musique, quand Marie récite des poésies avec accompagnement de flûte indienne et éclairage appropriés, nous sommes obligés de reconnaître que c’est beaucoup mieux. Gaby est la première à le dire.
le samedi 20 avril, à la mer, malgré le vent et l’eau froide, ils sont contents d’être nus et libres.
Thomas ramasse des galets surtout ceux qui ont des « trous ». En arrivant, il s’enferme dans sa chambre, allume la lumière et contemple, manipule, ficelle ses trésors Il lit son livre avant de dormir, n’exige rien, seulement qu’on ne l’embête pas pour manger
Le dimanche 28 avril, Il pleut depuis deux jours.
On joue au jeu de l’oie et au théâtre.
ça se passe sur la mezzanine. Le spectacle s’appelle « orchestra « . Il est commandé par Thomas et sa soeur armée d’un sifflet et des cymbales doit obéir au commandement, c’est à dire quand Thomas marque une pose avec la guitare. Fidèle exécutante, elle doit obéir au rythme d’ailleurs bien marqué par Thomas. Ensuite c’est la partie « petits résumés » il s’agit de dire les paroles censées être dites sur la musique précédente. Il y a la cigale et la fourmi apprise à l’école, mais aussi Hercule, les cyclopes, le renard et la fourmi et la fourmi aux pieds d’airain. Il faut dire que chaque soir on raconte quelques travaux d’Hercule . Sa mort, hier soir a bien attristé Thomas qui le voulait immortel.
le 15 juillet, au camp de champsec en Suisse…Arrivent Gerrit Jan et Lilian. Que va-t’il se passer avec cette petite Hollandaise de son âge qui ne parle que sa langue ? Gaby dit qu’il faudrait tous parler anglais pour se comprendre. Mais il n’y a que Naomi qui puisse parler. Alors il se fait d’amusants conciliabules. On demande à Naomi de traduire en anglais, le mot que répète Gaby à Lilian qui ne peut naturellement comprendre. Finalement on pense que les gestes seuls suffisent
D’ailleurs, dès l’arrivée Naomi et Lilian n’ont eu aucun mal à se comprendre, par le rire, le geste, les pitreries, chacune à montrer à l’autre qui elle était et ce qu’elle savait faire. On peut parler d’une entente sans langage. Elles vont bien ensemble : Lilian est ouverte aux autres comme Naomi et Naomi a le plaisir de mener le jeu. Nous sommes allés au bord d’un torrent…toute la journée dans l’eau, à jouer avec les pierres. Naomi cassait les pierres pour essayer d’en extraire la partie très blanche, le « cristal » et Lilian entassait et bâtissait des digues et des piscines. Deux personnalités intéressantes à l’oeuvre.
Retour à Celony, le 3 août 1996…Le spectacle sera finalement un marché, sur la terrasse. On y vend des noisettes (Thomas) soigneusement pesées, des lavandes (Naomi) et du romarin et lavande (Chloé). Très intéressant . La préparation a duré plusieurs jours et Naomi a pas mal chipé de noisettes au dessus de l’armoire. Les fraîches ont été cueillies. Ça a été l’occasion de montrer d’où viennent les pignons et comment ils se logent dans les pignes. D’ailleurs ils sont rares et précieux.
Thomas les a préparés, enveloppés par paquets de deux ou trois, à au moins 10 francs le paquet. ça ne le gêne pas de vendre cher, il refuse de baisser les prix, 5 grammes de noisettes au même prix. Tout le monde critique il est imperturbable. Enfin quand Naomi et Chloé auront baissé leur prix et bradé leur stock, Il se met à crier « solde, solde, un quart d’heure de solde » et donne quelques bricoles puisque le jeu quand on reste seul n’est pas très intéressant.
mardi 25 février 1997…là-bas Marie joue sur une grosse pierre qui sert de bateau, Gaby redevient enfant et se chamaille avec le capitaine ;
Pique nique vers Lourmarin au bord d’un vaste bassin alimenté par une source dans un paysage de rêve peuplé d’oliviers, de vignes, de vastes demeures et d’arbres en fleurs….le soir repas romain. Elles ont préparé dans des positions semi-couchées, des olives, un mélange d’oeuf dur, de pain et surtout le cratère de vin, cassis et eau servi à la louche. Les draps font les toges, le maquillage le reste.
Gaby est sublime, penchée, attentive, elle répartit le vin dans les coupes, ses bras sont dignes de la statuaire antique.
Marie se pique au jeu et moitié réminiscence d’ Astérix moitié lectures assimilées, parle de ses achats d’esclaves…Magie des déguisements.
Gaby joue à la magicienne, elle a construit une sorte d’antre sous une table, habitée par les marionnettes indonésiennes, le calendrier de sorcier de Sumatra, bref une atmosphère étrange. Elle assourdit sa voix pour nous parler, on dirait qu’à travers elle , les vieilles croyances…ressurgissent…
En juillet 1997 c’est la montagne…Naomi passe une très longue semaine avec nous. Elle couche seule dans sa tente, ce qui est nouveau, elle aime jouer. Elle est très gentille pour moi et s’inquiète de ma fatigue. Elle se livre peu. Elle aime la compagnie, les garçons l’attirent, un peu plus grands, mais tout cela est en germe, très confus. Elle veut aller à la fête, avec son argent. Elle achète un bracelet en bois, qu’elle peint, puis l’ignore. Elle veut danser au bal mais n’ose pas. C’est un mélange difficile à cerner mais c’est la vie qui perce.
Octobre 1997, arrivent seuls par avion Thomas et Chloé, très à l’aise…Thomas utilise une pelote entière de ficelles pour établir un réseau qui s’accroche aux poignées de portes et permet de les fermer ou ouvrir depuis son lit, pour la commodité ? plutôt contre les voleurs.
Chloé s’organise très bien, elle repère tout, observe et sur le plan matériel est impeccable ; Elle a balayé sa chambre et lavé le sol. Elle adore jouer à l’oie et ne triche presque pas…
Le dimanche 25, à la mer à Sausset, Thomas creuse dans le sable pour chercher la mer et la trouve…on cueille des arapèdes, des moules, puis nous allons sur les rochers observer les crabes et les anémones rouges dans les anfractuosités qui se remplissent régulièrement avec le va et vient de la mer, Une femme la remarque (Chloé) et lui fait goûter un oursin. Elle se lie facilement. Elle est très sociable.
Le lundi 26 arrive Naomi, de Londres, avec son petit sac de sport. Elle nous paraît grande et forte. Aussitôt armée de son nouveau game-boy, elle séduit Thomas et chloé qu’elle doit considérer comme des petits, mais l’entente est bonne. Chloé médusée est à sa botte et Thomas lui convient pour courir et jouer dehors…
Naomi doit apprendre sa fable « le Renard et le bouc » , pas facile pour une anglaise. Elle est appliquée, elle apprend.
On doit faire une représentation théâtrale, elle aime inventer les costumes, distribuer les rôles. Chloé sera le bouc, il faut qu’elle apprenne ses paroles parfaitement incompréhensibles pour elle. Elle les répète avec conviction, tandis que Thomas, goguenard, on ne lui a pas donné de rôle, critique, essaie de troubler les répétitions.
Mercredi 28, Visite au cimetière du Puy Sainte Réparade. Tous les trois grimpent sur le caveau, se disputent eau et éponge pour nettoyer. Nous allons vers la Durance, les Gitans. Il semble que les souvenirs de «l’enfant et la rivière » soient effacés, alors que le paysage est tout à fait évocateur. La Durance est large, bleue, parsemée d’îles avec des gitans.
Thomas prend une photo des oiseaux et de l’eau.
Mais l’intérêt c’est la viorne, surtout pour Chloé, car il y a un copain qui fume de la viorne !
On revient à la maison et on fume. Thomas a la manière, il a du voir les copains . Ça y est l’épisode viorne est clos.
En avril 1998, voyage en Grèce, merveilleux voyage en Grèce, Gaby tissant son bracelet sur les ruines de Corinthe, Gaby et Marie en jarre-statue sur le bord de la plage quand les ombres s’allongent au coucher du soleil. Tout cela est loin déjà mais reste comme une icône merveilleuse...
Au camp de valpereyre, Chloé et Naomi ont bien joué ensemble…le grand amour c’était le chien Max de Nadine et Stach, il s’agit de montrer qu’il m’aime et peut être plus que l’autre.
Téléphoner à Mamie, Maman, Papy, Papa, il faut sentir qu’on n’est pas abandonnée, entendre une voix, même pour ne rien dire. Thomas a trouvé un ami, Tristan Trahard. Aller au torrent, librement, c’est bon. Jouer au détective à travers le camp et puis construire un feu, faire du feu comme on aimerait, malgré les mises en garde, manger un beefsteak mal cuit, c’est bon.
Je ne crois pas que la marche, en soi, les intéresse. Il suffit de pouvoir dire « j’y étais » , mais jouer avec l’eau et le feu, c’est de bons moments.
Un jour entre le Roux et Abriés les Trois étaient à l’arrière de la voiture et parlaient d’avenir.
Moi, disait Chloé, je veux des enfants et je veux habiter tout près de ma maman pour que les grands parents voient leurs petits enfants , Moi disait Thomas, il faut que j’aie vite des enfants pour qu’ils connaissent leurs grands parents ; pour Papy Jacques pas de problèmes, Il vivra vieux, il a des muscles, il fait du vélo, Coco, aussi ça va, mais Mamie Yvette, je crois pas, elle met trop de sel et elle fait pas assez d’exercices. De Mamie Ninette on ne dit rien cette fois-là.
Noël 1998…Elles préparent en secret le théâtre du réveillon et le programme, ce sera un sketch : les Croissants. Chacun a appris son rôle sérieusement. Au bar les consommatrices, Gaby avec une écharpe et un air supérieur et Chloé, superbe dans une combinaison noire. Elle gardera sa tenue de soirée jusqu’à plus de minuit. Une vraie Star, Marie, un peu hésitante tient le rôle du serveur, Thomas est un consommateur gouailleur qui tient bien son rôle.
Enfin, ils animent la soirée…et le repas exotique réunionnais… les jouets de Noël ayant été choisis par chacun, ils ont été bien accueillis, Gaby avait demandé une loupe, Gaby un réveil, Gaby a eu deux sortes de loupes et Marie un Chrono-Réveil...Thomas avait voulu un fusil laser, Chloé une machine à dessiner le monde…Thomas et Chloé ont apporté leurs bulletins de classe, Gaby, ses livres, mais tout cela n’a guère retenu l’attention, l’heure était à la fête…
En février 1999, le soir Marie pèse et prépare consciencieusement la pâte à crêpe. Gaby les fait cuire, la rigolade, elle les fait sauter et les met par terre, mais elles sont quand même excellentes.
Le samedi, Promenade à la Ste Baume…Marie aime se cacher et jouer les « perdues ». On mange le gâteau qu’elles ont bien choisi… le Dimanche, départ pour l’ile de Port-Cros. On a très froid sur le pont du bateau. Pique Nique sur la plage Sud, Gaby prend bien le soleil. Marie grimpe aisément. Elle redescendent toutes deux en courant du Mont Vinaigre, boivent un « coco » en attendant le départ du bateau.
Dans leur studio, elles s’organisent et après avoir joué au Rami regardent à la télé « le grand bleu », le matin elles sont vite prêtes, elles se baigneraient bien à Bregançon mais comment est l’eau ? où sont les serviettes ? Elles cueillent du mimosa, Marie essaie de grimper dans les arbres…Le lundi vers Collobrières, on pique nique, on a acheté du parfum, Marie, Violette Gaby, Mimosa. Elles portent une branche de mimosa et du miel à Madame Blanc qui a donné des beignets. Elles ont aimé le restaurant et les pizzas.
« De vraies vacances » … le mercredi rien à faire avec ce trop grand mistral. être sous la véranda, jouer avec la chatte, faire sa rédaction. L’après midi Marie s’est enfermée dans son antre de diseuse de bonne aventure. Décor étonnant, un grand paréo, des pierres bleues, des gris-gris, des objets bizarres, un jeu de cartes. Elle a une grande jupe noire, un châle noir. Elle est voyante et nous prédit du bon, du mauvais, mais pas trop mauvais…
le soir on joue au mime, Gaby sait très bien mimer les états d’âme, elle est douée pour le théâtre. Coco nous montre Téti, l'épouse ou la mère du Roi , sur « le Monde « , portrait de Gaby qui se maquille et ressemble vraiment à une Egyptienne.
lundi 22 février 1999, arrivée de Naomi,Thomas et Chloé par le même avion…Ils ont bien grandi, sont en pleine forme et leur première activité est de courir dans le jardin et sauter sur le canapé,
Thomas s’installe en haut….La grande affaire est de construire une cabane pour les filles et de faire une annexe à la sienne, pour Thomas. Il faut beaucoup de matériel, mais le résultat est très bon…
Après midi goûter chez Georgette… Jeu de bataille qui se termine par un duel Georgette-Ninette, Chloé veut que Georgette gagne, elle fait tout un jeu de supporter et amuse tout le monde….le soir Chloé récite sa poésie sur « l’Algérienne », mime et danse.
Naomi et Moi, faisons notre numéro et Thomas qui la première fois fait une sorte de pantomime mais la seconde s’est fait un gros ventre de femme enceinte pour danser…
Au théâtre des Ateliers : l'Iliade et l’Odyssée, ça leur a beaucoup plu malgré la simplification du texte et des costumes. Le soir on mime des métiers, des personnages historiques, Chloé feuillette le catalogue des 3 Suisses et pouffe d’un air effarouché devant les mannequins en soutien-gorge. On lui dit que c’est courant. Alors elle raconte que Thomas regarde les femmes nues sur internet et que même elle a vu des putains qui faisaient l’amour et une qui suçait la bite d’un bonhomme. Nouvelle éducation….
Le jeudi 25 février 1999. l’après midi Thomas me tape deux lettres à l’ordinateur, je suis étonnée de son savoir faire et de sa dextérité…Je reprends ma voiture chez Jeannot. Chloé défie l’oie qui ne l’attaqua pas. Elle geint un peu au téléphone : elle a mal à la gorge. Je rassure Yvette qui connaît bien ses petites comédies. Chloé joue inlassablement aux petits chevaux parce qu’elle gagne toujours. Elle a beaucoup de chance avec les dés.
Vendredi 26 février 1999. Départ pour la Tour fondue et l’île de Porquerolles, chacun son sac à dos avec un peu de nourriture.Thomas ne mangera que des chips et des desserts, mais sortira d’on ne sait où, quelques barres caramel ou chocolat, qu’il a, dit-il, toujours en réserve au cas où le repas ne lui plairait pas. Sur la grande plage déserte Naomi commence par jouer les solitaires et entrer dans l’eau jusqu’au genou. On la rappelle. Elle joue alors tout le jour avec Thomas…Chloé explore seule sa petite plage et finit par remplir avec moi une bouteille d’eau de mer. Naturellement les pieds sont mouillés. Aucun n’a accepté d’apporter un rechange même des chaussettes.Thomas a déjà pris des airs affranchis d’adolescent, chaussures sans lacets, aspect « cool », il a fait un piédestal de sable autour des pieds de Naomi, puis elle a fait de même pour lui. Naomi se fait expliquer « Narcisse et narcissique ». Elle reproche à Thomas d’ignorer ce mot, lui rétorque qu’il y a des centaines de mots français qu’elle ne connaît pas - Et lui, en Anglais ? Ils s’entendent tous bien. Quelques petits coups en douce de temps en temps mais rien de méchant, Ils sont gentils, au fond.
Le Vendredi… l’après midi, départ chez Caroline à Trets, petite déception, les chevaux ne sont pas prêts… Nous allons goûter dans le pré voisin, un amandier en fleurs. Coco les fait grimper pour la photo, Thomas est maladroit et crie j’ai peur, j’ai le vertige, Chloé grimpe hardiment, Naomi est plus lourde. C’est en descendant que se produit la catastrophe : un clou dans le tronc et la salopette se fend de haut en bas, départ rapide pour trouver une salopette en jean… à Kiabi aux Milles, j’achète une salopette en jean brut, très jolie.
Le dimanche... l’après midi Thomas fera des crêpes. Il prépare la pâte, pesée, pas de problèmes . Mais il faut casser les oeufs, c’est le drame « non, j’ai peur, j’ai peur » , faire couler le blanc ? « Non, c’est dégoûtant ». Enfin c’est fait. Chloé pèse très bien les ingrédients des petits gâteaux. A table, il y a eu la conversation sur l’existence de Dieu et le grand mystère de la création du Monde. Naomi défend la foi qu’on lui a apprise, Thomas, la théorie athée qu’on lui a apprise. Chacun s’accorde à dire que c’est un grand problème.
Thomas a monté le camping-gaz et après m’avoir observée, fait très bien les crêpes pour tous. Pendant ce temps les filles ont fait leur pâte, les gâteaux et les cuisent au four, toutes seules. Copieux goûter.
En juillet 1999… Naomi et Chloé s’entendent très bien et cherchent à rendre service et à se montrer raisonnables. Nous allons à la piscine chez Fadier, Elles font des cabrioles dans l’eau et montrent à Jean Gassin tout ce qu’elles savent faire. On gonfle l’orque et on joue dans l’eau, on gonfle la piscine dans notre jardin et on fait les folles.
Nous partons le lundi 19 juillet à Luz la Croix haute. Elles sont très sages en voiture, Nous dormons dans notre chambre d’hôtel « le Chamousset » et je raconte une histoire. Quelle surprise, le lendemain au déjeuner de les entendre raconter cette histoire par le menu à Juju, je suis étonnée de voir qu’elles ont tout enregistré. Elles jouent dans la piscine du camping avec Dan, Chloé voudrait bien parler Anglais.
Dimanche, Naomi reprend seule, l’avion pour Paris, contente d ‘aller en Crimée avec son Papa, mais un peu triste de nous quitter, en tout cas je suis triste de la quitter.
le lundi, il faut s’occuper seule mais il y a la piscine chez Inés, Chloé fait la vaisselle et reçoit 10 francs. Elle est contente. Nous allons à la danse, ça lui plaît.
Le mardi 27 juillet 1999, l’aventure de Chloé. Elle veut jouer à la marchande. Je la mène près de Marie au petit marché où elle vend de la salade, heureuse . Marie lui donne 20 francs. Elle veut acheter une chouette pour Yvette et un cadeau pour sa maman, une tasse chez la Chinoise. Au milieu de la rue Gaston de Saporta, elle lâche le sac, catastrophe, gros chagrin. Nous retournons acheter une tasse et la Chinoise lui offre un cadeau, un calendrier. Elle est ravie et conclut : « On a un malheur et ça fait un bonheur ».
Le 28 juillet, Thomas arrive de Suisse avec Coco, Il est tout content, mais commence rapidement la rivalité avec sa soeur.
Le 29 juillet 1999, Francine est là, tous les deux rivalisent pour la faire enrager, pour lui faire acheter leurs fantaisies, cela frise parfois la violence. Je ne reconnais plus Chloé.
Départ le 31 pour les vacances dans le Périgord avec les copains, ça changera d’atmosphère.
Tous deux se resserrent auprès du lit de Francine. Ils sont très attachés, Ils voudraient qu’elle regarde la télé avec eux parce que cela leur semble bien. Ils refusent de venir en promenade…mais vont à la piscine un peu avec leur maman, puis joue avec elle au « voyage en France » Ils ne lui cèdent aucun moment de liberté.
Vacances de Novembre 1999. Thomas et Chloé arrivent le dimanche 31, amenés par Jacques Yvette et leurs amis de Lyon Angelo et Arlette. Le soir arrive Naomi avec son papa.
Tous ont grandi en taille…Chacun prend sa chambre et commence de fêter Halloween.
Déguisement. On va au magasin. On ramène une citrouille. On fait des ongles et des vers de terre. Naomi mène cela tambour battant y compris la construction de la cabane en toile.Thomas y jouxte la sienne. Il Fait des enregistrements, tape dans sa balle et se sent un peu hors jeu…Quand la nuit est venue…en portant la poubelle, je m’arrête chez Madame Blanc pour qu’elle voit la sorcière Chloé. Ça l’amuse, elle lui promet une pizza, si bonne que Thomas en mange. Elle est invitée pour le goûter des sorcières, lundi après midi…ça se passe dans la salle, la bougie éclaire de l’intérieur la tête de courge. Tout est noir. Elles jouent une « pièce » à laquelle Thomas participe. On fait circuler le repas de sorcière, on boit le sang de…(cerises).
Vendredi… Chloé entre dans l’eau des calanques pour faire des démonstrations de galipette, car l’eau est froide mais il y a un public…Thomas entre mais ne trouve rien d’intéressant à faire dans cette eau froide. Il préfère s’isoler, escalader et observer les rochers de la calanque… Le lendemain, Il est allé au Country-club, je l’ai laissé seul à la barrière, dans un lieu où normalement il n’y avait rien à faire. Il a su y tenir sa place, trouver un partenaire, plus petit que lui, mais très bon joueur , à l’heure convenue, il était à la barrière.
Il faut jouer avec Chloé tout le temps, au 7 1/2, au Kems, à l’oie, au domino. Thomas, aux échecs avec Coco très pédagogue, une partie avec moi où il perd le fait se retourner vers son grand père. Chloé fait un essai, non réussi, alors sans intérêt. On va là où on gagne.
Mercredi on arrive en retard au théâtre. On est refoulés. Que faire ? Atelier de crêpes avec deux postes de travail dans la cuisine. Ils s’en tirent très bien, Je vois qu’Olivier a vu faire le Papou, il donne des conseils judicieux. Naomi sait très bien faire, très autonome, Chloé active et attentive.
Thomas essaie d’échapper à toutes contraintes… Les repas sont un rite au scénario qui se répète invariablement. On lui pose trois légumes dans l’assiette. Il refuse de les manger, les éparpille, parlemente etc... et ne les mange pas ! Tout le monde baisse les bras, même moi qui fait plusieurs menus à chaque repas. A quatre, Ils ont du bien s’amuser dans leurs chambres. C’est déjà quelque chose.
Le jour tant attendu de la Camargue n’a pas été aussi réussi que prévu. Partis à la plage des Saintes Maries dés le matin, on s’est retrouvés frigorifiés, obligés de pique niquer dans les voitures. Heureusement les mouettes affamées sont venues en nombre voler autour de nos miettes. Thomas et Olivier ont fait du vélo, l’après midi nos deux cavalières sont parties avec le gardian pour faire une tour vers les marais, mais le cheval de Naomi a eu peur d’une voiture, Elle est tombée, heureusement ce n’était pas grave. J’ai passé de l’arnica sur le bas du dos et la nuque. Je vois qu’ils sont un peu « ivres » des libertés que je leur laisse. A réfléchir…
Le Samedi 9 avril, Arrivée de Naomi à l’aéroport, toujours très jolie et belle allure, elle m’aide, prépare le repas, nous sert à table, c’est parfait, le soir une petite histoire au lit, encore bébé. Lundi nous allons au ciné jeune, Charlot, Laurel et Hardi, Elle est déjà plus grande pour ce genre de tarte à la crème, elle s’occupe dans la maison. La grande affaire : les oeufs de Pâques… Au supermarché beaucoup d’hésitation avant le choix et surtout cet oeuf énorme, bien enveloppé d’un rouge flamboyant, perché tout en haut d’un rayon. On ne sait pas le prix, On hésite, On décide de revenir mercredi. Réflexion faite, je lui donne le choix : ou elle garde les 200 francs ou elle achète l’oeuf. Elle hésite, ça coûte d’avoir à faire un choix. Elle renonce à l’oeuf. Elle fait des gâteaux « traditionnels » jeudi matin pour ses cousines qui arrivent l’après midi.
Dés qu’elles sont là, son comportement change. Elle mène Marie à sa botte, pour cacher les oeufs, pour décorer, programmer la télévision. Marie suit joyeusement, Gaby se retire avec son livre ou dans sa chambre ou à sa toilette, devant une personnalité qui est peut être ressentie comme envahissante. Les tâches ménagères sont abandonnées au profit de la chasse à l’oeuf.
Le vendredi 14, Jour des oeufs… Arrive Georgette. À 3 heures, c'est une pièce de théâtre, elles sont superbes, Marie et Gaby sur un paquebot, ravissantes passagères et Naomi en gentleman à moustache et panama parfaitement réussie, elles suivent leur scénario et improvisent, On voit qu’elles sont plus grandes, qu’elles ont plus de maîtrise.
Elles trouvent assez facilement les oeufs avec mes énigmes, Nous aussi, mais il y a eu les gros oeufs enterrés par Naomi sous un poirier sans se douter que la terre qui recouvre a son poids.
Samedi 15, Naomi dés le matin est prête et a fait ses bagages… j’ai l’impression qu’elle part le coeur gros, elle serait bien restée avec ses cousines. Toutes les trois se font bronzer sur la terrasse. Je recommande à Naomi de porter des semelles pour améliorer ses jambes. Elle dit avoir perdu 5 kg en 5 jours, ce dont tout le monde doute, car elle a bien fait honneur à la table bien garnie…
Mardi 18 en Camargue. Plage de Prémançon, le sel, les oiseaux, il fait beau mais le vent est froid. Tandis que je garde pull et anorak, Marie nage dans la mer avec Gaby.
Mercredi 19, Théâtre des Ateliers. Perceval. Nous avons aimé. Hier les filles ont appris à décorer des assiettes de crème dessert. Ce soir on fait de la pâte à choux. Naomi téléphone chaque soir à ses cousines.
Jeudi 20, Pâtisserie réussie, Après midi à Marseille. On va voir les « Frigos » de Pascou Rome. Elles ne se plaignent ni des retards, ni des attentes ni de la chaleur. Elles ne veulent ni glace, ni café. Seulement elles acceptent de traverser le vieux port avec le ferry-boat d’Escartefigue. Elles sont contentes de l’air et du soleil.
Vendredi, Nous disons au revoir à Georgette, C’est Gaby qui pense à dire « au revoir » à Madame Blanc et à lui porter quelque chose. Pour le train, elles veulent le minimum, quelle différence avec Chloé ! 15h 48 les voici installées dans le T.G.V.
Vacances d’été au Plateau d’Assy, Aire de camping naturelle.
Arrivent le 16 juillet dans la grosse Mercedes les filles et Naomi. Le temps est à la pluie. La tente de Christine, celle des filles et celle de Naomi qu’elles montent seules. Dîner sous l' auvent. de temps en temps nous les verrons. Elles viennent déjeuner, goûter, rendre des petits services. Marie court et marche bien. Naomi a plus de difficultés à cause de ses hanches soit à cause de son poids. Elle part faire un jour la balade, mais revient avec une grosse ampoule sur l’orteil. Elle préfère jouer avec les petits. Ses chaussures du 39 étaient sans doute trop courtes, elle les abandonnera à Celony. Je lui achète une paire de sandales, comme le sol est détrempé à cause de la pluie, ça servira pour tout.
Marie et Gaby et Guillaume et Coco font un baptème de parapente. Naomi n’aime pas ou n’ose pas. A t’elle peur de ne pas réussir le départ sous le regard de tous ? Elle mange vite, je le lui dis, elle corrige quand elle y pense. Elle aime les gâteaux, les madeleine et essaie d’être raisonnable. Ce n’est pas facile pour elle. Quand François arrive à Celony… pour venir la chercher, elle voit bien qu’il ne fait pas bon être gros, Peut être fera - t’elle quelque chose.
Elle parle de faire de la danse, de la natation. Il faudrait l’encourager. Elle a une très jolie voix, je lui conseille d’aller au moins à la Chorale du Collège ou d’ailleurs. Elle sait que les déplacements, les heures de classe, tout pose problème quand on n’a pas une personne à disposition pour s’occuper de vous. Enfin elle apprécie les vacances. Je la sens s’épanouir, quitter les airs connus pour être plus elle même, très simple et très gentille.
Gaby va entrer en troisième. C’est une jeune fille simple, bien décidée. Je ne lui vois que des qualités. Chez Fadier, toutes les trois se régalent dans la piscine. Gaby est très à l’aise à montrer les poils de son pubis. Naomi refuse d’enlever son maillot. Chacune respecte l ‘autre. Elles ont inventé un court spectacle mais elles ont dépassé ce stade, elles préfèrent se faire bronzer et apprendre à plonger.
Naomi a fait un tour de cheval au lac vert, mais sans ses cousines. Elle voudrait bien leur montrer ce qu’elle sait faire mais il pleut chaque jour et la promenade n’aura pas lieu.
Gaby lit tous les horoscopes, elle voudrait savoir l’avenir… mais personne ne peut dire, elle voudrait voir une vraie voyante.
François est venu chercher Naomi, du coup, elle a pris un air plus sérieux, comme si des questions revenaient. Avec l’argent que je lui avais donné pour faire du cheval, elle a acheté des fournitures scolaires, pour que sa maman n’ait pas à assurer ces dépenses. Elle part voir sa grand mère à Sheffield… ses cousines (anglaises) sont encore petites, elle sait qu’elle n’ira pas en vacances avec ses parents, une certaine tristesse.
Gaby et Marie participent activement à la recherche d’une maison à Nantes, c’est un autre monde… Elles ont bien aimé comme nous la soirée au restaurant « les charmettes » la qualité des menus, mais le fait de se sentir en famille.
Le 24 août 2000, Yvette et Jacques amènent depuis Hyères Thomas et Chloé en pleine forme d’avoir bien nagé. De beaux enfants. Thomas a les cheveux ras, à la mode. Fabrication du gâteau au yaourt. Celui de Thomas est moins bien levé. ça le chiffonne. Il loge en haut sous sa moustiquaire et s’est fait un décor « de luxe », un miroir et le gameboy que vient de lui offrir Coco. Il est content…
Le 26, le soir, partent les grands parents, la journée a été torride.Thomas fait un exercice d’Allemand, il a besoin d’entendre pour bien prononcer.
Le dimanche 27, Il descend de la chambre du haut pour s’établir en bas et laisser la place aux amis… Nouvelle installation de « Thomas Pacha Premier du nom ». Il a mis la moustiquaire, empilé un très grand nombre de coussins, lampe de chevet, micro pour commander son déjeuner. Il est le Pacha, on ne peut entrer que sur son ordre. Il est satisfait.
Arrivée de Sylvain, Chloé devient insupportable pour dire quelque chose à son père, des séances de séduction, de l’agitation, des refus, le grand jeu, y compris bagarre avec son frère.
Mercredi 29, Thomas joue avec Olivier Daïram, on construit une cabane au fond de chez Madame Blanc. Chloé n’a qu’une envie : se joindre à eux. Chez Georgette elle vient, pour jouer au scrabble, trois mots sont trouvés, elle prétend avoir gagné, change la règle du jeu et abandonne tout. Elle joue bien aux dames pour son âge mais triche effrontément.
Thomas rechigne à faire les exercices d’allemand, refuse d’apprendre vocabulaire et déclinaison, pas assez accrocheur pour cette langue. Comme il a cassé le couvercle du sucrier et qu’il pleut, je propose de faire un couvercle en argile. Chloé réussit très bien. Thomas fait à sa guise, brise tout, laisse tout en plan, tâche son short que Chloé essaye de laver.Toujours le même jeu, Il se dérobe à tout travail et sa soeur fait à sa place ou répare ses gaffes. En sera t’il toujours ainsi ? ( non, commentaire du grand Père, Il est un Ado )
1er novembre à Cormery. Nous trouvons Gaby très jeune fille, habillée avec goût, Marie aussi. à Nantes elles se demandent qui aura cette chambre, qui aura celle là. A l’hôtel, au restaurant aucun problème. Toujours des petites merveilles.
Décembre 2000, le lendemain de Noël arrivent par avion Thomas et Chloé, Ils ont grandi, ils sont plus réfléchis. Chloé parle toujours fort, je suis sûre qu’elle n’entend pas bien car elle me fait répéter et avoue ne pas toujours bien entendre la maîtresse. Thomas est très réservé, Il lui faut plusieurs jours pour être en confiance. Sylvain et Marie arrivent, le lendemain, Ils feront le réveillon chez Tonio. Je trouve ça triste pour les deux enfants d’être chez les Vieux, Tout seuls, On s’occupe à faire des gâteaux, Thomas participe pour les apéritifs, Chloé est efficace, champion, je peux lui confier entièrement les préparations .Thomas n’aime pas les fenêtres sales de la cheminée, torse nu, protégé par un grand tablier, il m’aide très bien à les nettoyer. On joue au mistigri, Chloé est toujours une bonne tricheuse, Ils ne se disputent pas trop. L’ordinateur est en panne, Thomas est un peu désoeuvré, il est d’accord pour faire le travail d’allemand, le travail est un peu anarchique, mais comme le cahier, il faudrait du temps pour revoir tous ces problèmes. Enfin il ne s’en tire pas mal. Espérons.
Le film « les dinosaures leur a plu, ils n’ont rien réclamé. Que veulent ils pour les étrennes ?
Des chaussures, je suis ravie, mais à Décathlon Thomas choisit des Nike à 6500 f. et elle dans un magasin de luxe, le seul à vendre des authentiques Klark 7500 f. Jamais je n’aurais cru mettre si cher dans des chaussures, que je me refuse . Chloé consent à me donner les 100 f. de différence avec Thomas. Je le leur donnerai pour leurs bons services, car Ils ont été agréables… Coté nourriture Thomas mange ce qu’il aime, le choix semble se rétrécir. Il est vrai que je n’ai pas fait d’effort. Thomas pour la première fois a appris à éplucher une pomme de terre. Chloé est à l’aise. Thomas fait cuire les frites, seul, chacun fait aussi ses crêpes. On sent souvent le manque, mais ils oublient.
En avril 2001. Séjour à l’hôtel « Vacances bleues ».
Le samedi 14, à 20 h, débarquent du même avion, Gaby, Naomi, Marie, Thomas et toujours avec l’hôtesse, Chloé. Ils sont joyeux, contents, et on part pour Celony. Avec moi Chloé qui a voulu être devant, leur conversation c’est l’école, les notes, les profs. Arrivée à Celony, Ils sont contents de la table avec 5 lapins en chocolat et au menu essentiellement crêpes et flan maison, une petite louche de soupe, ensuite on se précipite sur la télé pour voir un policier. À 11 heures au lit, naturellement rien ne se passe comme prévu. On a tort de prévoir. On entend des pas, des rires, Coco réclame des boules Quiès, je ne dors pas, à 1 heure et demie, je monte. Elles sont toutes les quatre en travers du grand lit, elles sont adorables mais il faut dormir.
Dimanche… Coco a mis 20 oeufs dans le jardin. Ils ne les trouvent pas tous. Tant pis, On embarque. Dans ma voiture, Chloé et Marie, leur walkman sur les oreilles. Toute conversation : les chansons, les chanteuses, aucune ne regarde le paysage, sauf Chloé qui en voyant les hauteurs au dessus de Mirabeau : « tu t’imagines grimper là haut ? Personne n’est jamais allé là haut ! ». Quand je lui dis que Coco y était dimanche dernier, elle se tait, songeuse. A Sisteron, elle aperçoit les maisons sur la pente de la colline et s’exclame « oh ! les pauvres gens qui habitent là haut, qui ne peuvent même pas aller à l’école ! »
On pique nique au bord d’un champ, la nature en fleurs, la maison en ruines dans la campagne, les vaches . Rien ne leur rappelle rien. Chloé s’inquiète si c’est ici le gîte de vacances et Thomas conclut : je n’aimerais pas vivre ici. Nous sommes seuls à faire quelques pas sur le sentier en direction de la ruine.
Arrivée à Vacances bleues, leur étonnement « mais c’est le luxe » , leurs chambres, leurs balcons, ensuite ils vont à la découverte mais refusent d’aller à l’accueil organisé. Ils préfèrent jouer aux cartes dans leur chambre. Ils sont à la piscine et au hamam, ils ne veulent pas s’inscrire au stage de cirque, mais vont au spectacle.
Repas du soir, potage ? peut être. Ils vont chercher de la salade de carottes et des pâtes.
Thomas n’a rien mangé à midi, car il ronchonnait : l’antenne de sa voiture était restée à Celony, cette précieuse voiture à essence qu’il portait comme le saint sacrement dans une grande boîte, en sortant de l’avion. Le désespoir lui a coupé l’appétit qu’il n’a jamais. Il mange deux assiettes de pâtes à toute vitesse… les filles mangent le poisson et les courgettes qui sont bons et filent au spectacle sans attendre le dessert. Il faut dire que c’était trop long.
Elles ont envie, surtout Chloé, mais s’inscrire ? non. Ensuite danse, c’est là que tout se joue. Elles ont envie de danser mais n’osent pas, ne décollent pas de leur chaise. Ensuite vont danser, seules à l’étage. Thomas et Marie font une opposition systématique, paraissent les plus timides, refusent d’entrer dans le groupe et se distinguent comme ils peuvent par des initiatives plus ou moins heureuses. Gaby entre dans la danse, elle a franchi le pas. Elle commence de s’amuser. Naomi suit. Chloé commence timidement.
Thomas s’appuie au bar et regarde. Il y a tout un jeu d’approche et de replis qu’il faudrait décrypter. Nuit calme.
En juillet 2001, à Saint lary-Aragnouet campent Thomas, Chloé Antoine… avec Sylvain… et le chien,… Christine et le filles… et des copains, au fond du camping légèrement en contre bas. Nous sommes avec Naomi et sa copine Marine. Nous les voyons rapidement, en bandes. Ils se promènent dans le camping, vont en montagne avec Coco, je reste dans la caravane très prise par les rhumatismes. Des soirées au restaurant. Un aperçu de petits drames larvés, Chloé aimerait être avec les grands. Thomas aime bien venir avec moi boire son nesquick.
Le 26 juillet Ils reviennent à Celony avec nous, Naomi, marie et Gaby. Elles sont calmes, agréables, Naomi très entreprenante et serviable, le 31 elle repart en avion avec Marine, reste Gabrielle qui fait alors figure de privilégiée, toujours très agréable, polie, son amie ne viendra pas. Elle va donc s’occuper seule, la piscine Fadier, seule, perd un peu de son intérêt mais il fait si chaud. Un petit tour au cinéma « née pour danser » Gaby aime le cinéma. Marièle lui apporte des cassettes avec les films de la télé. Elle fait une cure, d autant plus que Coco nous passe chaque soir des petits bouts de film, du temps ou elle était bébé ou bien lorsque les enfants étaient petits à Gap. Elle trouve que ces vacances -là sont bien.
Samedi, nous allons à l’étang des aulnes à St Martin de Crau voir les jeunes européens danser. Elle est très intéressée. C’est elle qui reconnaît les lieux où nous sommes déjà allés avec elle et Marie. Elle nous remercie, c’est un plaisir. Nous faisons le marché d’ Aix et quelques boutiques pas très chères où elle se fait plaisir et moi aussi en achetant une robe à laquelle je n’aurais pas pensé, sans elle. Elle fait un « stage de cuisine » , cela veut dire qu’elle cuisine avec moi pour apprendre : la ratatouille, la quiche lorraine, la tarte aux prunes, le cake aux olives, elle est attentive, très sérieuse. Elle va se promener avec Coco ou à la piscine avec moi.Vient le départ, elle doit rentrer seule, Aix -Nantes 6 heures 1/2 de train, c’est un peu angoissant tout ce temps à passer dans le train.
Noël, Les cinq se retrouvent, nous les laissons à l’étage avec l’écran, à leurs conversations, à leurs jeux. Naomi sent que le divorce approche. On parle de Victoria et de ses enfants. Elle assume ? Tout ce qui se dénoue est douloureux.
Toutes les filles m’aident, Thomas pour la première fois fait sa « pizza » avec de la mozzarelle et il la mange, content, un mot, on aimerait bien que le Papa soit à la maison.
Chloé nous fait bien rire en jouant une présentation de télé qui nous interroge sur nos propres enfants. Je pense qu’ils sont contents à l’idée de se revoir au ski en février.
Février du 16 au 23 à Bois d’Amont, chalet des éclaireurs.
Sur les pistes des Jouvencelles, Naomi, Gaby, Marie, Chloé, Thomas et leur maman, François, les 2 premiers jours. Après la grosse chute de neige, Coco et Guillaume à ski de fond, moi au grenier, je lis, j’écris, à peine 1/2 heure de marche entre les deux postes frontières. Naomi, on nous le fait remarquer, est grande et belle. Gaby et Marie ne se disputent pas.
Chloé, dés le premier jour se luxe l’auriculaire, on va au poste de secours. Comme l’envie de skier est la plus forte, elle ne quitte plus les pistes, rouge, noire peu importe, elle fonce. Thomas skie moins mais s’arrête une journée entière, car il a besoin d’être seul et de se reposer. Ils sont tous dans la même chambre. Thomas arrive à manger parce qu’il y a toujours à un des repas des pâtes, du riz ou de la purée, sinon il ne mange rien, mais je le vois sans cesse avec des canettes de coca ou d’orangina. Il achète des friandises. Christine me dit de ne pas regarder ce qu’il fait à table. Il vient me parler dans ma chambre, enfin, il aimerait parler mais ne peut pas. Il me dit seulement que l’ambiance chez lui n’est pas terrible, il est content d’aller chez Sylvain. Peut être il fera un effort pour travailler mieux en classe, c’est son projet.
À Poligny nous avons tous rendez-vous à la pizzeria de la grand rue pour retrouver Sylvain qui a quitté Paris le matin à 6 h et y repart emmenant Thomas et Chloé, contents de revoir leur papa. Naomi est un peu seule, mais elle est bien avec Gaby et Chloé.
A Bois d’Amont, elles se sont offertes à garder Yanni, un après midi à ma place. Gaby, à Nantes, fait déjà du baby-sitting chez sa voisine. François leur a fait des gâteaux. Le dernier jour, il y a eu une soirée avec bal pour l’anniversaire de Béatrice, les filles dansent Thomas, non, du moins pendant qu’on est là. Tous disent qu’ils ont passé de bonnes vacances.
Avril 2003, je suis effarée en ouvrant, cette nuit, ce cahier de voir que je n’ai pas écrit depuis un an. Pourtant les enfants sont venus, nous sommes allés les voir. Que va dire ma mémoire. Naomi est venue avec moi chez l’astrologue. Elle a bien retenu qu’il fallait qu’elle travaille pour avoir un avenir où l’argent et la réussite ne manqueraient pas, c’est peu à dire et ses réactions à elle ? Thomas est allé aussi, qu’en a-t-il retenu ? sans doute qu’il n’aimait pas l’allemand et qu’il serait très fort en informatique. Le reste a dû être oublié.
En juillet Août, Nous sommes allés à Castellane dans le bungalow de Sylvain, seul… Il y avait Thomas, Chloé et Naomi. Quand sont arrivées Christine et les deux filles, ça a été la fête. Nous sommes allés les voir descendre le Verdon en rafting puis du canyoning, un bon goût de vacances où on marche ensemble entre cousin, cousines jusqu’à la petite ville où on mange des pizzas et des sucreries à volonté, en jouant aux cartes parce que marcher c’est fatiguant…
A Noël, Nous voyons surtout à Nantes Gaby et Marie . Deux jeunes filles dans leur chambre, jalouses de leur intimité, jeunes filles de ville qui vont faire les boutiques ou qui marchent avec plaisir dans une grande cité. Nous avons peu parlé d’école. Gaby en seconde ne porte pas un intérêt particulier à la spéculation intellectuelle, Marie, davantage. Je les vois penchées sur leur table, un après midi, elles dessinent toutes deux, des enluminures avec beaucoup d’application.
Chloé et Thomas sont chez Sylvain. Chloé câline son papa ou le subjugue au sens propre, cherche à le capter. Thomas reste devant l’ordinateur, c’est vrai qu’il en connait tous les secrets. Il communique avec ses copains. Pour le moment c’est un adolescent que l’adolescence fait un peu regimber, il sort avec des copains au cinéma… Nous ne voyons pas Naomi. Elle est en Angleterre… François et Veronica divorcent. Qu’en pense t’elle ? Elle ne parle pas, ne se confie pas. On devine très peu de ce qu’elle pense. Dommage on pourrait peut être l’aider ?
En février, Thomas et Chloé arrivent tous deux par le T.G.V, sans les cousines, comment vont-ils s’occuper. Thomas est venu pour aider Coco pour le nouvel ordinateur. Il en assure le montage. Tout le monde reconnait sa compétence, le faire travailler en allemand ou en histoire est une autre chose. Il comprend vite mais ne veut pas faire d’effort ni être contraint. La nourriture ne pose aucun problème pourvu que l’on mette dans l’assiette des frites, des pâtes, du couscous et des pizzas, une orgie de pizzas qu’on va chercher presque tous les soirs au bas de Puyricard. IL est avec Coco devant l’ordinateur ou il écoute de la musique, l’extérieur, le jardin, il ignore ou presque. Chloé m’aide à faire le ménage, elle fait des gâteaux, de la cuisine. Elle s’occupe tout le temps. Elle lit très peu. Elle passe beaucoup de temps devant la T.V.
La semaine suivante arrive Naomi. Elle a grandi, elle est très belle, très souriante, très agréable. Elle passe la semaine à faire son travail de classe. Nous lisons ensemble Cyrano de Bergerac. Elle répond avec pertinence à toutes les questions. Perfectionniste, elle recopie jusqu’à ce que le travail soit net…
Aujourd’hui, en avril 2003 Nous apprenons qu’elle va entrer au lycée de Leipzig, ce sera bien d’être trilingue… En février elle n’a pas parlé du divorce imminent de ses parents, de ce que son Papa avait maintenant comme compagne Victoria.
C’est cet été que la réaction a été la plus violente. François a emmené Naomi et Chloé faire du cheval dans les Pyrénées avec Victoria et ses deux enfants. Quand ils sont arrivés à Celony, tout s’est obscurci. Chloé et Naomi étaient chez leurs grands parents, pas question de laisser un morceau de territoire à Nastia et à Yvan. elles les ont littéralement boycottés.
Est- ce Chloé qui reflétait et mettait en scène le rejet violent de Naomi ? bientôt l’atmosphère se détériora au point que Coco énervé donna une gifle à Chloé. François désespéré tomba dans un abattement profond. Vita avait des larmes. C’était le drame. On expliqua à François que c’était être trop idéaliste de croire que tout son petit monde allait s’entendre simplement parce qu’ils vivaient ensemble dans son coeur. Il apprit à ménager les ressentis de chacun. L’épisode fut rude. Je sentis à quel point Naomi se sentait sinon abandonnée, du moins trahie. Une épreuve qui fait grandir, quand elle ne tue pas. Dommage qu’elle ne parle pas, c’est dommage de refermer tout cela. Espérons qu’elle n’en sortira pas comme pour moi des kystes et des nodules.
C’est vrai qu‘ en août dernier (2002) j’ai été opérée des lombaires, racler mes vieilles mémoires. Comme j’aimerais éviter tous ces ennuis de santé à ces jeunes en leur montrant d’autres schémas possibles. Surprise et grande joie dans ma chambre de clinique de voir arriver un beau bouquet de la part de Naomi. Une grande délicatesse, un très grand coeur qui ne doit pas se fermer.
En février sont arrivés Gaby et Marie avec leurs parents. Dommage que ces vacances décalées n’ont pas permis à Naomi d’être avec ses cousines. Elles ont fait une cure de télé, un petit tour en ville, un tour sur la côte avec Christine, des promenades, elles sont très actives. Gaby est une jolie jeune fille. Elle manque de confiance en elle. Elle ne se voit pas belle . Alors elle fait des boutons sur son visage pour s‘enlaidir. Il faudrait qu’elle comprenne qu’elle a une réelle beauté, un petit incident a peut être été à l’origine de cette dévalorisation ? Nous regardons sur la T.V de petits films tournés à la Croix Chaudron. Elle est très jolie. Elle, elle se dit « moche » , ce qui est bien subjectif.
Au concours dr photos de grand mère à Jouques Coco a consenti à ce que j’expose deux photos : Celle de Gabrielle me « tenant par la barbichette » (à quel âge ?) gagne un prix. Nous allons les voir à Jouques. Tout le monde en profite pour monter à Bédes. Je marche peu, c’est en voiture que je vais avec Coco à la chêvrerie où a vécu Christine…
25 juin 2003, Est-cela visite de Simeon-Simon qui fait tout bouger ? d’après la carte du ciel à sa naissance, il a le noeud karmique. C’est lui qui redistribue les cartes. Le bébé long de buste, grand, les yeux bleus (de sa maman ?), le front et un certain sourire de François. Un bébé calme qui boit bien, qui dort bien. Il n’a que 4 mois et demi . Né le 4 mars de cette année 2003. Il agite pieds et bras, très attentif à ce qui le sollicite autour de lui, surtout les bruits. Il ne semble pas apprécier les bruits forts, ce qui me rappelle François qui se bouchait souvent les oreilles au passage des avions, qui craignait les bruits forts. Un enfant lourd et confiant, quand on le prend dans les bras.
Il est allongé dans son lit berceau-voyage pour boire le biberon. Cela me choque de voir qu’on lui donne le biberon sans le prendre et en continuant de discuter. Apparemment cela ne le gêne pas, Moi si, car ça me rappelle qu’on attachait le biberon au lit. Il n’y avait pas de temps à me consacrer.
Sylvain auquel on téléphone, nous dit son désarroi face à Thomas qui ne veut pas quitter sa chambre, qui reste dans le noir, fenêtre fermée pour rester à dialoguer sur internet. J’interroge Soizic. Elle a eu un cas semblable. 15 ans c’est l’adolescence, la recherche de son identité, le Père, culpabilisant, n’agit pas en vrai père pour lequel il est facile de poser un interdit. Souhaitons qu’il puisse voir tous les deux un psy. compétent. J’ai l’impression que les choses vont se mettre en place. Est-ce la visite de Siméon- Simon ?
Le début juillet 2003. Arrive Naomi de Paris par avion…c’est pour elle un moment difficile de quitter ses camarades de Fresnes… ses camarades ont offert des miroirs qu’elles ont couverts d’inscriptions affectueuses. Ça lui a fait vraiment plaisir. On les laisse à Celony, on ne les emporte pas en montagne. On reviendra…
Départ le 14 juillet à Lus la croix haute. Naomi a monté sa tente. Elle repart à La Grave retrouver ses cousines au camp. Elle met sa tente près d’elles, vient dîner avec nous et va en montagne presque tous les jours, elle fait beaucoup d’effort. Le montagnard Elie stimule les filles, concurrencée par sarah, Naomi aimerait bien être aussi favorite ?
Noël 2003, Toute la famille est réunie…Les cadeaux qui m’ont le plus touchée : une lettre de Naomi disant tout son amour pour Ninette, une lettre des Tchèques - Grecs très affectueux avec une oeuvre, un foulard de leur fille et une lettre de la mère de Victoria, sorte de poème (en russe) qui exprime son amour….
Thomas est enfermé avec son ordinateur…
Simon est un bon bébé qui a commencé à remettre de l’ordre dans la famille en remettant chacun dans sa chambre primitive….
Naomi paraît encore plus grande, Elle parle peu d’elle même…
Chloé continue d’être vive et d’animer la soirée, Elle s’occupe de tout…
Marie est plus réservée, est moins visible….
Gaby fait ses devoirs, est disponible pour tous, mais sait bien s’abstraire de ce grand bazar.
Le 21 juin 2004 François, Victoria arrivent avec Simon… en avion il a eu le bras étiré en se pendant à son père, pendant le trajet, on lui a mis de la glace, Il ne pleure pas trop… le mardi, David arrive à 14 heures et travaille en ostéopathie, Simon bouge le bras et petit à petit tout redevient normal. Il joue, il traîne le vieux cheval de bois que François qualifie d’antique chien étrusque. Il joue avec l’eau, tuyau, arrosoir, il est très actif. Son papa lui achète une belle voiture, mais il traîne aussi un petit train et l’hippopotame. Le soir avec la radio qu’il manipule, il danse très bien, il a le sens du rythme et se réjouit de la musique. On sent qu’il la vit à sa façon . Il aime prendre une fourchette et habilement pêcher dans l’assiette et mettre dans sa bouche ou celle de papa ou maman. Il est très doux et très joyeux
Je lui fais découvrir la danse de la « Marie Coco « Il est ravi…
Le 5 juillet arrivée de Naomi, légèrement grandie, encore fillette pour l’amusement, très mûre pour le raisonnement…Nous allons chez le coiffeur Vittorio qui avec un soin extrême et beaucoup de plaisir lui fait une chevelure superbe…Elle va seule en ville et revient en bus
Nous voici en décembre 2005 ! Toute une année où je fais la garde malade et tant de choses que je n’ouvre plus ce cahier et pourtant j’aimerais noter que : aujourd’hui 4 décembre François me dit que Naomi est à Oxford pour un entretien. Quel courage elle a eu, quelle force !. J’espère que sa réussite sera totale, qu’elle sera aussi l’aimée. Si je pouvais être plus proche physiquement d’elle….
Gaby, étudiante a un job d’ouvreuse. Cela me réjouit de savoir qu’elle reste dans un monde de danse et de théâtre. Marie fait du piano et de l’accordéon, ses études, elle marche droit dans son avenir.
Chloé dit à sa surveillante « tu me casses les couilles ». Ça fait rire ? c’est selon !
Thomas, as de l’informatique ne pense qu’à cela ou presque. Il a un but.
Simon est arrivé, tout joyeux, vif, plein d’intérêt. Il dessine des cercles en tenant le crayon dans son poing fermé, sa maman essaye de lui faire tenir entre les doigts, alors on assiste à toute une gymnastique de la main ! pour revenir à l’essentiel, ouf ! Quand son expression est libre, il dessine des ronds en se racontant des histoires : « c’est un éléphant », ses yeux…il ajoute des traits, « les pattes » Quand il veut dessiner et essayer les différentes couleurs, il fait des traits, des spirales, des traits plus ou moins rageurs.
Je lui ai acheté un zoo en playmobil, l’éléphant lui plaît, les figures, pas encore la construction. On va voir avec les lego, demain. Je pense qu’il devrait être plus seul pour poursuivre son rêve. A table il a demandé des crevettes (qui remplacent pour lui les écrevisses) Il mange peu, ce n’est pas son problème ; le meilleur c’est sa « Kacha », son biberon de bouillie de céréales. C’est un doux et un tendre, je souhaite qu’il le reste, c’est un astucieux, habile, c’est un réfléchi… Simon sent tout ce qu’il utilise, naturellement la nourriture qu’il porte à son nez et examine avant de la mettre dans la bouche, mais également les feutres de couleurs qu’il sent, peut être est - ce sa Nounou qui le lui a appris ? Il est joyeux, il chante et fait les gestes en russe, un peu en français mais son répertoire de chansons françaises est déjà bien. Nous le quittons avec regret car il est très attachant.
La Suisse en mai 2009, à Soulce c’est l’occasion de voir vivre Simon. IL est très sensible et gentil en me montrant qu’il apprécie le livre et le puzzle que je lui ai apportés. Il parle bien français et fait des phrases entières dont il est content. Il est, je crois, très heureux dans la nature et le village. Il nous montre son école et en passant la fontaine où il s’arrête pour boire. Il va avec les autres enfants, la nounou Geneviève.
Il est remuant peut être comme les enfants actuels qui mangent beaucoup de sucre, surtout les boissons sucrées. La tête travaille parfois aux dépens du corps. A table, il avale tout rond, l’imitation du père. Il ne s’attarde que quelques minutes et va digérer devant l’ écran. Il regarde de très jolis contes russes, en russe, un peu pour se reposer, un peu par intérêt, beaucoup pour rêver. Il fait un grand puzzle de 120 pièces, assez difficile. Il a étonnement le sens des formes. Beaucoup d’observation et de réflexion. Si cela se canalise, tout lui est permis. Nous sommes allés sur le lac, sous l’orage, n’a pas été ni effrayé ni inquiet. Il a aimé visiter les remparts de Morat, d’autant que sa maman lui a acheté un fleuret à pommeau doré. Il va jouer beaucoup avec, l’emporte à l’école et le prête volontiers à ses camarades moins gâtés certainement. Petit drame au jardin, le chat vient de manger un oiseau, Simon le poursuit dans la prairie, pour le punir. Il est triste pour l’oiseau.