Ninette

Avant-propos


Elle aime écrire.
Déjà son Père Georges le faisait.
Il était manuel, forgeron
Mais au certificat d’études
Il fût premier du canton.
Il avait une belle écriture.
Sa Mère Madeleine aimait écrire et recevoir des lettres,
et c’était un rite de l’entourer et de l’écouter
lire la lettre reçue et la commenter.
Elle a écrit au soldat
pendant la « drôle de guerre »
en 1940, elle avait dix ans.
Très tôt elle écrivait son journal
qu’elle devait cacher
au regard de sa mère.

Toute sa vie elle a écrit.
Jeune Homme, j’ai reçu d’elle
des lettres nombreuses
qui ont enluminé mon statut d’interne.
Sa fidélité en amitié
a multiplié ses lettres régulières
dans les moments d’allégresse
dans les moments de tristesse ;
Ainsi en témoigne sa lettre à Odette,
sa lettre pour Jean Luc disparus.
Ses carnets de voyage les ponctuent.
Ses lettres sont des récits de sa vie,
elles sont des poésies,
Elles sont des réflexions.
Jean Guitton le Philosophe
aurait aimé la voir se diriger dans cette voie
la vie l’en a dissuadée.
Les Textes réunis ici
ne sont qu’une part
de ce qu’elle a écrit.


Elle a su allier à cette passion d’écrire
la passion de vivre.
Nous avons eu Trois Garçons Sylvain François Guillaume,
Flore une petite Fille n’a pas vécu.
Elle est aussi Grand Mère, elle en fait le récit.
Elle a enseigné les Lettres,
au début avec des élèves qui avaient son âge.
C’était à Dijon, puis à Compiègne, en Alsace
en Artois, en Provence.
Partout elle a rayonné et diffusé son goût.
Ce n’est pas le seul, elle a réjoui ses amis
de son habileté culinaire et de sa générosité bienveillante.
Elle a même fait de la montagne
alors qu’elle n’en avait guère envie,
pour accompagner les siens.
J’ai essayé pour ma part de fixer ces instants
par des dessins qui cherchent  à illustrer ses Textes

et par des photos dans la «Biographie».

Claude Lecomte



Écrire

J’aime les mots, leur histoire
la façon dont ils s’articulent.
J’aime écrire à ceux que j’aime
les menus détails de ce que je vis.
Mais je ne tiens pour valable
Que ce qui a été écrit sous l’urgence,
Ce qui s’est imposé à moi...
La nécessité de le dire
Et trouver le mot juste.

Je rêvais pour moi d’une gloire modeste. Avoir de l’audience, juste assez pour plaire, acquérir avec les droits d’auteur, le droit d’écrire, d’écrire beaucoup, avec le plaisir de la plume au bout des doigts, face à un paysage du matin, sous une minuscule tonnelle, au bout d’une allée d’oliviers ou de pins, une table en bois, un bol de café au lait et déjà en train d’écrire...


Geneviève (Ninette)

Espérance

J’ai pris la vie

J’ai pris la vie avec les dents
Je la caresse
Je lui caresse le dos et le ventre et les reins
tout chauds
Mais la vie n’a pas d’yeux
La vie n’a pas d’oreille
Elle n’a que des dents
et puis un ventre énorme
Comme une caisse
Un tambour de ville, la rose aux dents.

Espérance

à Dijon le 9 juillet
Dans les ruisseaux de la ville, j’ai trainé
mes pieds dans l’hiver
J’ai besoin de chanter.
Dans la fleur des vacances qui riait dans les prés
tout au long des jours
J’ai appris à pleurer.
Je tiens mon rêve dans mes mains
et j’ai peur
car demain
Demain, demain peut-être un écriteau
barre la porte “expériences”.
Il me faudrait mon rêve
et le grand jour d’été

Tout si simple
l’espérance
l’espérance que nous avons pour
demain
Ma prière dans le soir
Votre force et votre joie demain.

Joie Exaltation et Beauté

à Moniré

en avril 2015

Le désert brûlait, sanglant
La vague charriait des vêtements,
Une chaussure sur la plage

Les grandes portes bleues se sont ouvertes
dans un rai de lumière
O Moniré

Ta vie est là
Le destin s’ouvre
marche
même si tu n’as pour tout bien
que le ciel.

La neige

Le chat blanc de la neige a rôdé toute la nuit

autour de ta maison

Au matin, Il s’est assis

sur la table de la terrasse

derrière les volets clos

Et quand tu ouvriras

Il t’émerveillera
de sa brillance.

Gui

Tes feuilles s’enroulent
sur l’escargot de bois
Non pas l’an neuf
Mais gui de joie

Les pieds de nez
de toutes les boules
me font les cornes
gui de joie

Il faut aimer
quand l’an s’envole
Vieux gui l’an neuf
Mais gui de joie.

Message d’hiver

Nous partions chaque dimanche, à la rencontre de la terre.
Je marchais à la lisière d’un bois. Déjà les premiers froids

avaient rougi les arbres et semé d’or le fond des roubines.
Les collines étaient bleues, couronnées de calcaire
qui s’effritait au soleil.

Et la Durance vint à moi
Fleuve plein d’allégresse,
Dont l’eau bleue ou verte s’étire ou se love au pied de ses falaises…

Il y pendait encore, sur ses bords, la barbe d’un satyre
une barbe qui pleurait.

Chaque herbe avait mon pas

Et je marchais en cherchant des cailloux.

L’arbre rouge s’éventait dans le silence de l’été.
Le vent léger courait sur chaque herbe qu’il rendait folle,
Comme le vent de la terre, sur la terre, sur la plage…

Cabanes fleuries, O ma jolie
Au paradis des tout petits.
Et tout cela s’effritait comme du sable que le vent force et empoigne

Soulève et viole, devant les impuissants ;
Tandis que quelque part, au creux d’un bois, un papillon tâcheronne
et besogne sa fleur.

Les champignons sont rouges dans les bois.
Et vient la ronde des jeunes filles, des femmes et des enfants.

Ils rôdent
La mère terrestre et nourricière
La chaleur de l’été
Nous partirons chaque dimanche à la chaleur des bois

Je cherchais le cri de l’hiver...

La beauté


6 mai
Tes yeux sont un lagon
où versent quelques palmes
Perles des mers du Sud

Comme l’ancre

Sur le sable très doux
Je me repose à l’ombre

et m’endors.


Son visage alors se détendit, la peau se fit plus transparente
plus fine, les lèvres se séparèrent légèrement et naquit cette expression.
La beauté, venue comme de la mer, les lèvres sans un pli avait
ce rose étrange de quelques pétales recourbés.

Les yeux comme de grands lacs d’eau calme.
Ce qui frappait le plus c’était la transparence de la peau
qui découvrait ainsi une forme de visage exotique et racé.

Quelque chose à ne pas toucher comme les marbres veinés
que l’on voit quelquefois.

Oui il fallait ne pas bouger, garder encore une minute cette vie
sans trace, sans travail, sans effort. Ce moment exaltant de douceur

Tout était calme, si calme. Pas une veine ne courait sous la peau.
Pourquoi les mots ne veulent-ils rien dire.
Cet instant est fini, ne laissant que l’espoir.
Fuite étrange de la beauté, fille maligne,
Etre de fuite à peine l’a-t’on serrée dans ses bras,

Qu’y passe maintenant le vent.


St  Bénigne à Dijon

le 30 décembre 1948

La flèche au clair matin rayonne
la flèche de mon clocher
Elle s’élance dans le bleu du ciel
On dirait qu’elle va chanter

Venez voir tous, venez les gosses.
Regardez la flèche monter
Elle ne sait pas qu’on la regarde
Elle ne voit plus la terre
Elle ne nous voit pas
Elle monte
Monte
Elle s’élève
Regardez la comme elle est belle
Ma flèche aux yeux cuivrés.

                                                  à Claudine

La Cabane

Je l’appelais la cabane
Elle était toute petite
L’eau y dansait en rond
devant la porte au son du vent

Elle était toute petite
Un peu comme une chaumière
Des barques s’y amusaient
à la façon des faux
venant couper la vague
et lâcher les herbes

sur l’eau.

Trois jours passés

Trois jours passés de vive vie
Trois jours entiers
Mon âme est pleine belle et sereine
Comme en été

Un long été si doux et plein de murmures
Chante chante
Un long été où tout est doux
L’abeille, l’aiguille et l’églantier

Mon coeur de trois jours vit sur un baiser
Mon coeur léger
Ma joie est pure, fraîche, immortelle
Mon âme attend la vie nouvelle.

Pour une minute

Pour une minute de vie
Je donnerais tout un rêve
Les plus belles images
Et tous les plus beaux jours.

Je donnerais ton amour
et puis toute ma peine
ma peine, ma joie, mon cri et mon amour
Les mots sincères qui passent

Avec la brume du jour
Ces doux mots
Mais vivre
Vivre ce présent que l’on voit

Qui vous prend
Qui s’accroche et s’enroule
Sans jamais se dénouer
Le voir, l’entendre, le sentir sans parler.

Sentir

Sentir encore

Encore et davantage

Mon coeur trop plein déjà
Qui ne veut plus chanter
Je veux voir plus loin
Que les formes qui passent
Je veux sentir encore
Mon coeur en train d’aimer

C’est cette flamme sacrée
Au creux de la poitrine
Qui va se réchauffant
Un sourire dans tes yeux
Un silence sur ta lèvre
Une minute de vie
ça ne dure qu’un instant.

Amour

 

Cher Claude

J’ouvre un livre, le soleil se lève, je retrouve
le goût du jour.

Me voici, neuve, baignée, me voici.

Je regarde la rue
les arbres
et puis les maisons

Un voile léger tamise le bleu ardent du soleil
Tu n’es pas là. Mon pas traîne et j’attends
Je regarde une fille rousse. Elle fait «Histoire»
Elle te ressemble comme des types humains
qui se lient.

Je l’imaginai en robe blanche
Je regardai des couples. Ils avaient même
visage. Je cherchai dans nos traits
un rapprochement à faire
Je haussais les épaules. C’était dans le
contraste qu’était le grand amour.

Je revis le météore, une étreinte.
Je vis tant et tant de choses que je fus
lasse et m’endormis auprès de ton
épaule.

Un grand jardin, nu soleil au vent.
Voilà.

Les soldats ont mis leur nouvel uniforme
Les filles se poussent du coude. Elles ont
l’oeil noir.


Moi je pense

Je t’aime véritablement Claude
C’est doux l’amour

Ninette

Dimanche

4 heures du matin. On attend le soleil. Attendre le matin
par un froid glacial sur un sommet.
La prière sur le mont Sinaï.
Les filles dans leur couverture, des yeux passent et fixent les couleurs.
Le livre de Samivel est ouvert.
Je suis au matin du monde.

C’est étrangement calme et humain un lever de soleil.
Tapie au pied de la croix du sommet, je regarde
Le capuchon de nuage du Mont blanc se colore
et passe du gris au rose
la barre rouge du ciel reste immobile en suspens.
Les Alpes, les Préalpes sont bleus aciers
Le lac, une mare glacée, le Rhône une vague rigole plate
une couleuvre sans vie.


Dans les creux du jura, les lacs dorment
On attend. On domine le Valais et les vallées s’ouvrent
à nos pieds, les monts viennent à s’aplatir.

On attend dans le calme.
Et bientôt très vite, l’immense disque orange
Jaillit du ciel, tout seul, sans nuage
Seul il monte dans le ciel.

Nous n’avons rien dit. Nous avons regardé
et nous sommes redescendues étrangement heureuses
Je conserve derrière mes petits yeux verts
une grande partie des montagnes, les neiges du matin
Je conserve l’image de ces filles, vraies mauresques
dont je ne voyais que les yeux sortir des couvertures humides
et roses dans le matin, serrées sur les rochers vers la croix.

Je conserve le souvenir de cette attente glaciale et calme.


Je garde leur sourire, le sourire des premiers animaux
sur une terre neuve toute humide.
Je voudrais tout te raconter, pour que le soir, tu retrouves
notre calme de là-haut, le calme de la vie.

Oh c’est tellement beau là-haut, sans bruit on vit avec
le soleil, 400 moutons et de l’herbe fleurie.

Tout te dire, la montée pénible heure après heure
les petites poses, les sentiers dans les sapins.

Les cartes d’état-major qu’on déplie sur un tronc d’arbre.
les framboises, les digitales, la nuit qui vient toujours
et brusquement l’alpage, la trainée de moutons et le berger
dans sa cape noire et son chapeau jusqu’aux yeux.

Le chalet, la corvée de bois.
Je suis monté le voir, on nous le disait farouche.
Il fallait se présenter poliment. Les chiens bondissent, viennent
me lécher la figure et voilà les moutons qui m’entourent.
Submergée par un flot qui me lèche, se frotte, la laine m’étouffe
Vais-je être piétinée ?
Et le berger s’avance tout noir sans sourire. Il parle peu.
Il est brûlé du vent. Il fait le feu.
On mange. On dort par terre

Je t’embrasse

Mon amour


Mercredi
Ô comme c’est noir un chagrin
et comme il faut peu de chose à un coeur qui
aime pour s’ombrer
Tu fermes ton visage
Et toute la rue se voile
Les maisons ont des angles
Il n’y a plus de soleil
Toute la lumière s’en va
Comme c’est noir un chagrin
Et comme cela fait mal.


Jeudi

Mon amour va plus loin que toi. Il s’étend à tous les êtres
C’est un chant puissant et merveilleux qui éclate dedans
ma vie et me la fait aimer
C’est merveilleux la vie !
Et comme je l’aime
Mon amour éclate à travers la vitre
comme un joyeux printemps.


Mon amour frise le toit
Mon amour pique les grilles
Mon amour s’échappe et vole au vent .
Mon amour est grand
Mon amour est joyeux
Mon amour est sincère
Mon amour est fort et rien ne peut l’atteindre.
Il éclate
Il rayonne
Il s’ombre


Puis il s’éclaire
Mon amour c’est toute la vie
Mon amour c’est toute la terre
Mon amour
Mon amour
Comme il est doux et fort
Comme il est frais et tendre
Comme il chante
Et comme il pleure
Comme il est merveilleux et comme je l’aime !
Mon amour c’est toute la vie. Mon amour c’est toute la terre.

23 Septembre 1947

J’ai relu mon journal de 1947,

interrompu en décembre 

car ma mère l’avait découvert et lu.
J’y ai lu que le 23 septembre 1947,

dans la chambre des filles

après une bataille de polochon,

Il m’embrassait pour la première fois.

La foudre me transporta dans un autre monde.

le 23 septembre 1947

Et le ciel s’entr’ouvrit
dans un grand cri d’azur
Icare prenait son vol
Hermès avait des ailes
le but était fixé

Soixante dix ans bientôt
quelque soit le chemin
Je serai avec toi.

Etape de Lumière

Je voudrais que ce Cahier soit fini pour te le donner comme une époque passée.
Il est fait de nos joies et de nos peines,
de tes peines comme de mes peines
De notre chagrin commun.
Des moments où nous osions pleurer l’un en face de l’autre
Et c’est parce que nous avons osé cela que
Nous sommes sauvés l’un avec l’autre
L’un par l’autre
Nous marchons vers les oliviers de la lumière

Et l’étape de lumière ne sera pas celle de l’ombre.
Les peines n’y seront que des peines et non plus des angoisses trompeuses, trop longues
trop éternellement plaintes.
Le chagrin brutal nous rejettera
La colère amère, le doute, l’isolement ne voudront plus de nous
Car nous serons de lumière
Nous serons les oliviers de lumière

Les enfants courront dans nos branches.
Nous serons disponibles chaque jour à l’heure qui passe

Les enfants aiment la lumière
Et nous serons brillants de lumière grise
comme les arbres, le soir
Il faut souffrir pour revivre.

Sur le Chemin

Laisse moi m’arrêter sur le chemin prés de toi
Car ma quête est infinie
où te rejoindre dans la lumière ?
Car tu marches vers la lumière
Et Je déferle, molle, à tes pieds et tu marches
vers la lumière
Et je suis impatiente
Et je tends ma main pour que tu m’entraines
Et je marche douloureusement, infinie, tenant
dans le creux de ma main cette parcelle de bonheur
Notre lumière enfermée
comme une abeille bruisseuse dans mes doigts
que je n’ose fermer.

La Joie

La joie éclate et crie
La douleur aux mille yeux me regarde
J’hésite
Maintenant mes mots maintenant mes rêves
Je vais vivre avec lui
Finie la grisaille des jours plats et heureux
les bonheurs de conventions
maintenant avec lui, je vais chanter
poursuite irréelle et vivante
d’une fille aux yeux de vent , ma beauté
Oui les mots vont répondre à mon appel
pour lancer ce final
L’ombre est morte
J’irai vers mon aimé
Et dans son coeur d’hiver jaillira ma course
de sa source fraîche où il y a son visage
Il viendra
Il n’y aura plus deux chemins errants
Mais maintenant
Nos douleurs sera la joie d’où
jaillira l’oeuvre belle

Jour de Pâques

Le 11 Avril 1993.

Je pense à vous tous, nos tout petits, peut être êtes-vous en train de chercher des oeufs dans le jardin ou de recevoir une bricole

de la main de vos parents ou grand mère.

J’aimerais vous voir ici, dans le jardin, en train de piétiner les jonquilles à la recherche de gros oeufs en chocolat.

La vieillesse c’est surtout la solitude et
il faut apprendre à se tourner vers les autres,

les aimer comme d’autres soi-même.

Un souvenir me poursuit depuis hier. Je me revois en train de chercher des oeufs à Marsannay,

c’étaient souvent des oeufs de poule cuits durs ;

du temps de la mère Mairetet,

il devait y avoir un oeuf en chocolat

qu’elle avait eu bien du mal à me procurer.

On les cachait sous une touffe de fleurs

qu’on appelait «  la couronne, de Marie » 

une liliacée dont les fleurs orange pendaient tout autour d’une haute tige.

Je ne sais pas si elles étaient bien fleuries à Pâques,

mais je sais que beaucoup d’arbres étaient en fleurs.

On mettait une robe neuve pour aller à la messe
avec un petit gilet de laine pour l’église.

Plus grande un jour, une photo de Coco en témoigne Georgette et moi avons etrenné un tailleur gris, bien chaud, bien lourd
une bonne denrée d’après guerre.

Ce sont les vieux garçons, Tailleurs de Perrigny
Qui nous les avaient faits sur mesure. Du moins les vestes, nous avions dû par économie, faire les jupes nous mêmes.


Le lundi de Pâques on partait pique -niquer.

Le souvenir de ce jour, outre les oeufs durs,

qu’on préparait plusieurs jours avant, en les faisant cuire

avec des violettes ou des peaux d’oignons.

C’est la promenade à Notre Dame de l’étang à Velars,

avec tout le patronage.

Très contente de partir, sac au dos avec mon repas et mon bâton.
Tout était parfait au départ,

car je n’avais aucune idée du chemin qui m’attendait.
C’était bien vingt kilomètres aller et retour,

à bonne allure à travers les bois.
Et je me souviens de deux choses,

l’oeuf dur et le mal aux jambes.

Séduction

La Jouvencelle

Elle est partie sur l’eau
La Jouvencelle
La nacelle
Sur l’eau

Elle est debout sur le roseau
La Jouvencelle
La nacelle
Sur l’eau

Elle est debout sur le roseau
La Jouvencelle
La nacelle sur l’eau

Tous les enfants sur un radeau
Les chevelures étincellent
Sur l’eau

Chapeau haut

Oedipe


Oedipe s’est arrêté et regarde le Sphinx.
Oedipe s’est agenouillé sous son grand chapeau.
Il regarde le Sphinx manipuler ses optiques,
des tas d’optiques photos sur le sable
Et le Sphinx explique…explique…

Oedipe a vite compris. Les optiques, il
connaît.
Alors il s’en va.
Il s’en va tout simplement,
Avec son pas souple, décontracté
Sur le chemin désert,
Là où il doit aller,
Là où il va.
Le Sphinx range ses appareils à regret.
Oh Séduction !

Saint Bertrand de Comminges

Saint Bertrand de Comminges
La luxure

Et je dérive là-bas dans un volute de rêves.

Quatre mesures

Tu t’es mis nu devant moi
A l’angle dansant
Au soleil de ton ventre

Tu viens danser chéri
Laisse quatre temps pour rien

J’ai perdu la raison de son éblouissance
Tu étais tout petit

Ta main posée comme quatre métal d’or et
d’azur et de rayons pétales
Ton drap sent la lavande et ton mirage
le thym
Quatre mesures pour rien

L’eau n’a plus de satin
Tu te rabats comme une flamme
Tu câlines
Tu dodelines

Et tu reviens
Pénètre et chante
l’angle de tes cuisses a fait un grand ciseau
Resté loin

Le tout près loin d’espace
l’approche sans cesse renouvelée
Mon approchée
Sentie
adorée

Le satin crisse et glisse
sur les îlots
Laisse les paroles flotter sur l’eau

Vois les se rassembler pour nous pousser
au large
Vertige précipité des mots
Rythme du coeur lourdement poussé
Vers son achèvement sa fin

Avant la fin sur le rivage
quatre petites mesures pour rien
Une île au loin.

Saint Valentin

Saint Valentin assis sur des coquilles
effeuille des marguerites
en bon lièvre
bon enfant
sa mître de travers
il rit au dessus des villes
enfonçant les fenêtres
la crosse sur le dos
il visite les belles-mères
un pied de nez au père
une giroflée pour la mariée
un trèfle dans le dos.

Il s’en va en riant
les corsets ont des coeurs sur le ventre
les chapeaux, les manteaux, les
cartes
et le roi de carreaux.

On ne peut plus jouer aux cartes
ni aux dés
naturellement


Tout est à coeur
même les bouquets
eux ils ont des rubans
comme les évêques
naturellement

Vous ne m’avez

Vous ne m’avez même pas rencontrée
Vous ne m’avez même pas embrassée
Pourquoi avez-vous laissé dans mon
Coeur, cette poussière rose ?

C’est tellement naturel,

que Valentin se promène.

Espoir Indécision

Cheval blanc

Cheval blanc quand arriveras-tu sur la
Crête ?
Cheval blanc quand viendras-tu
Cavalier des genêts
Cheval blanc ?…..

Joconde et Raphaël


Rondeau à Claudine

Demoiselle fraîche et mignonnette
Qui maugré les ans
N’ayez cure des amourettes
Gardez votre souri longtemps

N’oyez le jouvenceau volage
Qui sur son fier destrier
Moult tendresses peu sages
Tentera votre coeur enchaînier

O peu me chault l’arondelle
Quand vous voys en le printemps
Jeunette courir à la fontaine
Puisez de l’eau en vos doigts blancs

Oncques n’entendis voix si belle
Oncques ne vis visage si beau
Te dit le poète. Jouvencelle
Mettant son coeur dans un rondeau

Les Arbres noirs


Les feuilles des platanes
Comme de petits singes
Sur le boulevard
Et qui n’ont pas vécu
Et les beaux arbres noirs
Et qui n’ont pas vécu
Je chante ma joie de vivre
Sur la pierre du chemin
Moi qui n’ai pas vécu
Comme les grands arbres noirs

Les enfants qu’on effleure et le grand silence blanc
La silhouette dans le soir
Une fleur qu’on écartèle
Et mon corps qui toujours s’éparpille
dans le vent

Les maisons sont coiffées de mignons bonnets rouges
l’oiseau siffle dans la branche

Les enseignes s’allument vers le soir
Tout rentre dans l’oubli
Et j’ai peur des départs
Et du temps qui enivre
Et sème l’oubli, dans les coeurs, déserts comme
des granges
Le ventre à deux battants

Tout coule si bruyamment
mon visage, mes mains
Tous comme de petits singes
Et des grands arbres noirs
Qui auraient trop vécu

Le Magicien


Le Magicien a mis ma vie
Toute ma vie
Dans un panier
De gros cubes
Jeu de fantaisies
Des cubes peints
Tout bariolés

Au rouge mon coeur s’est mis à chanter
à chanter, à rire, à baiser
Mon coeur frivole entre en danse
Joli papillon frisé
Il court perd la tête
Et s’envole dans un baiser
Sentir avec les verts
La douceur de l’ été
Vivre l’air des tempêtes
et prier
Crier avec l’orage
frapper avec la pluie
Se perdre sur les nuages
la nuit
Sentir le vert du pré
Le cliquetis du ruisseau
le bruissement de la feuille
l’été
Le bleu c’est l’âme froide
le gris passé, la cour
le long jour monotone
Sans vie et sans amour
alors vinrent les noirs
les chagrins, les ennuis
le trou, le vide, le noir
le dégoût, le gluant
le passé qui serre
le présent qui crie
et l’avenir tout noir
où rien n’est écrit
J’ai vu alors
un garçon de la ville
Avec des rouges dans son panier
Il avait encore beaucoup de rouges
Des rouges et des baisers
Je l’ai suivi de par la ville
Et j’ai tout recommencé
Le magicien de sa baguette
A tout remis dans mon panier
Parce qu’il me faut encore revivre

Et chaque fois recommencer.

Le Vieux Pont


Le vieux pont sans mousse
Est las
Il en a assez le vieux pont de l’Ouche
d’être là
Il ne veut plus des maisons qui le regardent
Des pots cassés
de l’hôpital
Il ne veut plus des sales odeurs
des peaux tannées
Des noirs égouts
Il veut comme ce soir des coeurs jeunes
à aimer
Du vent qui passe, des mots
des murmures
des baisers

à Claudine

Solitude Regret

14 juillet

Faudra t’il encore oublier
Que tu dansais entre ses cuisses
Au son
des flon flon
patriotiques ?
Elle s’offrait de ses yeux brillants
Comme une chèvre sous la lune
Au coin du bal
Sous les lampions
Une petite fille désespérée
Mord à pleine chair dans l’épaule des jeune gens.

Ce Calme étrange

Ce calme étrange qui naît et je n’ai
point d’amis
et je suis seule
sans moi-même

J’ai voyagé longtemps
J’ai appris à rire
et à pleurer
Je voudrais chanter

Ce qu’il y a d’admirable
dans le bonheur des autres
C’est qu’on y croit

Après les blessures ce que
les femmes font le mieux
C’est la charpie.

Création

Quand un homme crée
On le laisse tout entier à la joie
de sa création
Quand une femme songe
On la traite au

diphenilbarbitomalinopencipilacée.

Parlez moi

Parlez moi de ces contrées lointaines
d’où vous venez, traversant le ciel.

Savez vous quelles sont pensées
miennes (vieilles façons de dire)
ou mes pensées les miennes (pour insister)

Je rêve de la vie éternelle. (je désire)
Mes regards suivent votre passage
tout là haut
je m’attache à vous, mes amis chers
je vous regarde glisser si beaux

Quel but avez-vous ? Je ne sais guère
Si calmes, si gracieux, je crois en vous
je vous accompagne dans la distance
(dans votre errance ?)

Je regarde la mer, les montagnes, partout
je regarde
ma vue s’étend sur les terres immenses
le crépuscule vous bénisse
vous allume en rose

Soleil du soir, repose - toi, laisse
les partir
dans des régions
lointaines où je pose mon
âme avec eux et avec mes souvenirs.

Le Receveur

le 3 janvier 1949

Le receveur prend le billet
En coupe un coin
Le redonne

Le receveur prend le billet
En coupe un coin
le redonne

Le receveur prend le billet
En coupe un coin
le redonne

Le receveur prend le billet
En coupe un coin
Le redonne

Eh ! Receveur
C’est bien monotone.

Le Beau Danube bleu

Dés les premières notes, il mesura du regard l’espace

qui lui serait donné.

Il avança lentement en se berçant d’un mouvement lent

de tête...recula,

Se laissa porter...ferma les yeux

pour mieux se rappeler les glaces, les lustres,
les larges portes, les somptueux décors.

Petit à petit, Il laissa aller tout le haut de son corps.

Ses jambes, il ne les sentait pas .

C’étaient des arabesques que, dans ses trajets, il dessinait

qui surtout le fascinaient...Avancer...reculer...Pivoter.

Ne rien heurter

...Tourbillonner sur cette valse dont
il se mit à scander les trois temps...un deux trois...un deux trois...

D’abord doucement, puis de plus en plus fort

à mesure que le va et vient de tout son corps

l’emportait à travers la foule.

Eviter de heurter, frôler parfois, seulement frôler

tout ce qu’il connaissait si bien.
Saluer les visages sur les murs...

Tourner, pivoter, revenir...

Entendre crisser le plancher trop ciré.

Avoir la tête qui tourne,

parcourir tout l’espace, saluer les portes, la fenêtre...

et toujours aller...Avant...Arrière...

Pivoter et recommencer

Comme autrefois en Autriche

il allait la rejoindre ;

il poserait ses mains sur sa taille
Et dans un même rythme...un...deux...trois

il se sentirait vivre et...libre !

Aller venir, Avant arrière,

valser jusqu’à l’épuisement,

jusqu’à ce que le grand lustre
ne fût plus qu’une ville illuminée

de voitures, d’enseignes, de néons

jusqu’à ce qu’éclate comme un vase brisé

au passage le rire désespéré du passé.

Le rideau, à cet instant, tomba, bloqua une roue.

Il s’arrêta, hagard.

Cette valse n’avait fait que l’entraîner

dans l’épuisement d’un bonheur solitaire.
C’est à ce moment qu’on entra :

« Mais qu’est ce que c’est que tout ce ramdam Monsieur Duteil ? »
Mademoiselle Isabelle n’est pas venue vous mettre au lit !

Il faut penser aux voisins
Quand même, il est plus de dix heures !

Il le regarda comme un empereur rivé à son siège et dit :
« Moi aussi, vous savez, j’ai besoin de vacances »!

Education Société

Les Gens

Un Village de Bourgogne au XXéme Siècle

dans les années 1930 et 1940.

Les glorieux
les madames
les mères
Les simples prénoms
les pères
les demoiselles
les surnoms
les sans gloire

Une éducation

Un Village de Bourgogne au XXéme Siècle
dans les années 30 et 40
à Marsannay la côte.

Ils nous ont appris
à coudre, broder
décalquer, ajourer
cuisiner, faire les confitures,
les sirops, les caramels, la choucroute
et le saloir
élever les poussins et les lapins
cueillir les haricots et les groseilles
vendre le muguet
coudre les espadrilles, des robes et des manteaux,
tricoter des chaussettes et des gants
jouer aux osselets,
faire des gaufres, des gaudes et des dames,
faire des fagots
et chanter «  les blés d’or »,
conserver les haricots et les cerises,

faire du savon et la lessive
extraire le miel
choisir l’herbe aux lapins,
cueillir les noisettes, l’aubépine et le tilleul,
cuire le pain et la brioche,
planter les patates sécher les prunes
presser le vin, faire la limonade et le cassis, le curaçao et le kéfir
tresser l’osier,
faire des pompons et du tricotin,
des cordelières et des mises en pli
s’arrêter un peu le dimanche,
prendre un livre
et le soir, parfois dessiner une rose…

Balades

Le 8 juin 1964

Col de Cabre, le Diois

C’était une forêt vierge mais sèche,

un brouillamini de branches de pins noircis.
Au bas des villages tassés, mais des villages sans fierté,

des villages de montagne.
Tout était jaune de genêts en fleurs.
Les roches appliquaient leurs parois abruptes
La route courait sous les tunnels.
Puis il y eut la rivière, ses rapides profonds,

ses bords froids tout de suite,
ses cachettes pleines d’orchidées.

le bébé qui dort et les enfants qui partent au loin,
bien loin, en bateau, assis sur une pierre.
La fontaine de Luc en Diois, son eau verte,

la placette où subsiste une treille,
des chaos, un col, de la route

et surtout à travers les petites plaines humides
la chaude haleine des prairies ombragées de noyers.

Le 14 juin 1964

Montée par les gorges de la blanche, petite route laide.
L’eau verte n’attire pas les pêcheurs de truites, les Tristes.
La vue s’élargit par les genêts en fleurs,

sur les prairies, jusqu’à Seyne.
Seyne a le charme de ces bourgades accrochées sur les remparts,
l’église, monument historique accueille

sous ses hautes voûtes noires, en croix
un peuple bigarré .

Au mur une étude montre aux touristes

le distinguo entre le roman durancien et le reste.
Tout cela est vu trop vite entre le credo et le ite missa est.
Au bas du rempart, un petit jardin carré,

sous un tilleul, avec quelques roses.
Au bout d’un chemin de bois qui s’élève

jusqu’à la cabane de mulets,

tout la haut sur les alpages,

On s’arrête . la prairie est en fleurs,

depuis les marguerites géantes et les ancolies bleues pâles

jusqu’aux petites étoiles qui s’écrasent dans le touffu des herbes.
L’endroit bon à camper est un carré de foin

coupé et sec entre six pommiers verts.
Il suffit de soulever une mince barre de bois,

les trolls poussent sous les semoirs et les machines à fenaison.

C’est l’été.

l’eau dans le torrent fait le bruit normal

que doit entendre des oiseaux,

des montagnes, des prairies loin de la route.
Au retour vers la Bréole à partir de Selonnet on domine.
On cueille les grands chardons roses qui inclinent leur tête.
Les sous bois sont humides,

Au hasard une ferme habitée,

une femme jeune, accorte
court vous indiquer le chemin. Son linge claque sur le fil,

Elle rit, c’est le monde qui vient à elle,

une fin d’après midi, un dimanche.
Tout en bas, un campanile planté comme un crayon.
Dans le petit cimetière, sous l’herbe, trois tombes.

Le 26 mars 1964

Ganagobie.


Déjà le romarin est en fleurs et tout là haut sur un plateau vert que bordent les violettes.

Un amandier noir projette quelques pétales sur le ciel bleu .

C’est un tout petit lieu de vent , de bourdonnement et de silence .

La façade nettoyée s’orne d’un Christ médiéval dont les pattes droites pendent

comme un gibier mort toujours flanqué de ses apôtres.

D’une nef plus humide que sombre surgit quelque statue de bois d’olivier ,

des inscriptions  , un peu de soleil sur le porche.

Et voici que d’un confessionnal tout propre sort un vieux moine.

Il s’appuie sur son bâton, accroche son cabas de toile cirée à la porte de son repaire, Sourit ,

Il arrive , Avec son visage satiné , ses yeux souriants et curieux ,

il vient, Il explique

Il n’a pas d’autre fonction que celle de parler,

de montrer l’église et

de se rappeler son activité en Algérie, quand Il était le « Papa »

de tout un petit monde grouillant.

Il est seul  mais il vit , il voit , il sait .

Il ne ressemble en rien à son frère en religion,

ce moine crasseux et barbu 

qui s’est vite détourné et nous a chassés du geste,

nous autres, au visage découvert et profane.

Il y a la pluie à midi , un feu qui fume, les enfants transis.

Mais une si belle allée sous le rayon de soleil,

Ses buis dont l’averse a renforcé la senteur,

ses chênes verts, quelques mousses encore vertes, 

Et cette magnifique avenue aboutit à un précipice

de sapins rabougris et de pierre sèche

Lieu non pas de prière mais de repos au soleil.

le 20 juillet 1964

Promenade  d’Allevard


à    Le Curtillard


Les framboises sont mûres quoique inaccessibles.

Les pierres du torrent ont le dos de truites scintillantes,

Il y en a de mauves, des cuivrées aussi, des vertes 

Un feu d’artifice gicle avec l’eau.

Ce qui donne au lieu son air exotique

Ce sont les feuilles de badiane, elles sont colossales et vous coiffent en ku klux klan 

comme de grands parapluies cassés.

Les fleurs de mauves rosissent les champs.

le 27 juillet 1963

Saint-Bertrand de Comminges

un monde statique et clos où s’accroit la lumière.

« De gueules au château donjonné » « de trois tours

d’argent ouvert et ajouré de champ,

maçonné de sable »

                      Lugdunum convenarum

                             la cathédrale

la façade

Ils vinrent de partout sous leur vainqueur Pompée

Ils peuplèrent les champs.

Sous le triple lobe des vignes toutes plantées

pour bâtir

Droite et bleue 

l’élan des Pyrénées .

                                    

le Cloître


Au doux repos du cloître 

où s’alignent des jambes

Au rythme des piliers sous les mornes

entrelacs

Sous les signes du zodiaque

Sous les regards des monstres

Adam s’en va , battu et Mathieu

prend sa marche 

                           Au soleil de la foi

Viella

l’Auberge enfumée est pleine, a de la gueule.

On n’entre pas parce qu’on ne parle pas et qu’on n’a pas de pesetas.

Retour, visite de villages : Bosost et son église, pas de bruits,

le mulet s’impatiente,

ouvre les volets de son museau .

Personne ne sourit .

TODOS POR LA PATRIA et la tête du Caudillo .

Poste de Police :

Le vieux renard noir est au milieu de sa carrière.

Le jeune engagé a une figure de gamin,

On installe le grand-père qui veut aller à Viella voir «  el medico »

Il serre ses marguerites dans sa main.

Il est encore injambe pour aller faire la fête.

Le village au dessus de Viella est un escalier.

Il fait chaud .On dit « Buenos dias « et plus tard« Buenos tardes » C’est tout .On rentre le foin.On se repose. On monte .On descend. C’est dimanche pour tout le monde.

C’est le dimanche des villages.

Viella la Garonne 

Le monde des mulets et des vaches grises sur les alpages de l’été.

Le Soleil Noir

Evohé

J’ai poussé les portes de bronze
Me voici devant toi, Soleil noir
Et Que me veux-tu ?
J’ai laissé derrière le mur, tous les Humains
Et Je suis venue.
Où sont les vertes prairies sous les oliviers ?
et les chants et les Ménades
Et les corps blancs sur la rosée de la lune
Et les larges cercles dansants
Et les rires
Oh que retentisse l’Evohé
Tu m’as trompée
Dans cette vapeur noire le schizophrène
et son cortège de blancs cliniciens
Je renonce à toi, monde menteur
A deux mois de la mort
Je reste debout
Moi même
Evohé…Evohé… pour combien de temps suis-je

Sauvée ?

Luchon, le16 juillet 1963.

Vas-y, maman fais taire le grand père
et raconte nous l’histoire du soleil noir.

Le Soleil noir

Voilà j’ étais sur une route
Je marchais le long des couloirs blancs de céramique
et personne ne caressait ma main
J’étais seule
et le soleil noir m’appela
Il m’appelle une fois
mais je ne me donnai pas à lui
Il se cercla de rouge
Il m’appela au milieu de la nuit
Dans un fleuve de boue où flottaient
des papiers.
Il ouvrit une fenêtre sur une rue vide
Il fit couler un bain trop chaud
Il me fit marcher sur les rues mouillées
Il me fit hâter le pas, il me tira
Je ne répondais pas
l’heure n’était pas encore venue
Le soir
la solitude froide comme un drap lourd sur les épaules.

Le Soleil noir m’est apparu

Le Soleil noir m’est apparu

Un soir,
la table n’ était pas débarrassée
Mon mari s’amusait avec son amie
l’admirant au clair de lune
Je sentis le cercle noir se former sur l’horizon
Un disque si noir et si tendre que je courus
vers lui
Là où tout se forme et périt.
L’eau était tiède et calme,
Allait d’un mouvement lent,
Et le cercle se ferma, me laissant seule,
étrangement désolée
devant le va et le vient
devant le va de l’eau
la vague.

La Soleil noir des Cabanes

Je suis revenue sur ta grève
Pourquoi avoir tant souffert
Chair de ma chair
Un peu de moi est déjà parti dans la tombe
Mais Soleil noir Je dis non encore à ton désespoir
Je m’accroche debout et je les vois tous rire
Autour du feu.

Souffrance

17 décembre 1948

La feuille en automne
se courbe vers la branche
et mon coeur lassé
Penche

Mon coeur las de souffrir
cherche en vain un écho
et dans le clair matin
Nul mot

Nul mot pour bercer mon mal
et mon ennui
Nul. Pas un bruit

Noir souci qui me prend à la gorge
pourquoi me poursuis -tu ?
ô pourquoi - pourquoi
ce noir vol
l’ennui

J’ai mal de ce grand vide
où rien ne transparait
Ce grand trou noir
la vie, ce mot « j’aimais ».

J’ai mal
Le rayon sur ma feuille, s’étire

J’ai mal

Mon coeur est lourd
lourd de chagrin
lourd de tout l’amour que
j’aurais du crier
Je ne l’ai pas crié
et les larmes que je voulais
pleurer
Je ne les ai pas versées
Le soleil s’amuse avec mon mal
On rit dans le noir
J’ai peur pour toujours
et j’ai mal.

Dimanche insatisfait

Tu lui as fait compliment de sa robe
Tu lui a dit de décorer ta maison
Tu l’as couchée dans notre lit
et moi, je n’avais plus qu’à regarder
Je serrais très fort mon verre dans ma main
Et je m’enfonçais davantage dans le
plâtre humide de la muraille.

Solitude

Tu n’as jamais pensé que je pouvais être terriblement seule
et que tu étais le seul être auprès duquel je pouvais m’ouvrir.

J’allais chercher l’affection et les joies simples,
les joies familiales où l’on s’aide à vivre.
Tu vois, je t’attendrai peut être un jour quand tu reviendras
quand tu auras souffert de la solitude.

La porte sera ouverte toujours. Pour moi il n’y a pas de porte
On m’accepte ou l’on me rejette. Et quand on me dis pars,

je baisse la tête et je m’en vais,
les larmes me rident le visage et je vais dans la rue
dans les bois: je marche, les mains dans les poches.

Cette détresse physique et morale, ces crises nerveuses
où mon père me serre dans ses bras pour me protéger
peut être où je crie : papa, je ne veux plus vivre
parce qu’il n’y a plus personne pour m’écouter
parce que je suis seule, parce que je ne sais plus me confier car
lorsque j’ai rencontré pour la première fois l’amour
J’ai été si brutalement déçue que je n’ose plus croire
Je sens que je n’aurai pas assez de force pour recommencer.
Le pantin est mort brutalement.
Ce soir je n’ai même plus de masque pour me protéger
Je ne sais pas encore vivre.
Je m’enferme de plus en plus dans le cercle
parce qu’on ne m’apprend pas à n’être plus seule.

Les mal aimés

Au doigt des dévorés
Au doigt des désespérés
Au doigt des mal-aimés
ternit l’anneau de la souffrance.

Flore

Ma petite fille, peut être as tu aperçu un peu de cette lumière
de ce jour que je t’ai donné
Va sur le chemin du temps
Tu n’es pas perdue

Petite fille, tu voltiges autour de moi
Comme une abeille blanche
sur la vitre du temps

Tu te dresses, tu surgis contre moi
et Je suis comme l’enfant que l’on frappe
Je m’attriste longtemps

Quelque chose s’est inscrit dans les pages
de la douleur
Quelque chose manque pour toujours
une ombre passe autour de moi
et je n’ai envie de rien.

J’ai laissé les pages de la douleur
Quelque chose manque pour toujours
Souvent une ombre triste passe autour de moi
et Je n’ai envie de rien.

La mer en Août

Les Cabanes de Fleury, Aude
La mer froide
dans son jupon d’écumes
Le filet, les cabestans, le mulet qu’on pêche et
qu’on frit.
Il est parti le ballon sur la mer
loin vers des espaces froids
des horizons de lames
Les mouvements infinis
Comme Maman, au loin,
Quand on lui a dit qu’elle ne guérirait plus.

Durance

le 24 janvier 2015, à René et Cécile.

« Ibant obscuri sub nocte per umbram »  

Un ciel blanc gonflé de nuages gris
Le vent de l’hiver
Nos pas obscurs sur des chemins boueux
Les arbres noirs
Et puis
Le fleuve
Remous argentés d’eau vive
Nous t’y laissons, Nageur
Roulant vers l’inconnu.
Jusqu’à la dernière rose
Jean Luc nous a souri.

Odette

Celony, le 18 décembre 2017.

Ma chère Odette,

C’est l’hiver, c’est notre hiver
Nos printemps sont si loin ! et tu es si loin aussi,

dans ton hiver, dans ta chambre, souvent seule avec toi-même

Je sens tes pensées, je sais ta résignation sereine.

Elle est de notre âge

Une éclaircie surgit parfois, un bon souvenir,
des photos de camping, des bons moments autour d’une table,
les fleurs du jardin, le chat devant la fenêtre,
L’air frais de la vie, de notre vie.

Nous sommes maintenant à la porte d’un autre univers,
Celui des mondes que l’on ne connaît pas.
Nous serons peut être, une petite étoile,
un clou dans le ciel, regardant rouler la terre tandis que les enfants
des enfants regarderont le ciel émerveillés.
C’est notre vie, c’est notre destin
Et maintenant, Je te tiens la main,

Où je t’emmène ? Peut être encore à Aromas,
Un lieu de silence, de neige et de paix.
Peut être au milieu des amis qui pensent à toi
Qui partagent tes souvenirs
Pour qui Aromas et Odette sont toujours là
Je mesure combien la vieillesse
augmente encore les distances.
Je ne peux pas aller à Lons
Je suis vers toi en pensée.

Je t’embrasse doucement
Ninette

Anecdotes et réflexion

Carnaval

Sur une goutte de pluie
rit au passant de son air
bon enfant, un air de
carnaval
à tout prendre
oh! ça ne dérange
personne
évidemment non
bien sûr
un air de carnaval
Et puis après,
Après c’est comme avant…

Généalogie

Tu prépares ton arbre
Comme un rameau de Pâques
Accrochant des bonnets
et des moustaches
Et
Ils sont tous sur la rive
A travers le voile
Ils nous regardent vivre.

Hérmés

le 28 février 2014
Sous la douleur
Hermés le temps s’approche
Prépare moi tes semelles de vent.

Il y avait...

Il y avait la mer avec son visage d’argent tous
les jours
Il y avait l’ombre et la lumière dans les ruelles
Sur les vieilles pierres
Il y avait...

J’ai dansé

J’ai dansé avec l’arche
Sur le dos des dragons jaunes

J’aurais des souvenirs
oranges
Comme des abeilles.

La maison est vide

La maison est vide
La vieille a trépassé
Autour du notaire
Dansent les héritiers

Et mon coeur est libre
d’amour envolé
Par de là les rêves
Volent les amitiés.

La ville est blanche

La ville est blanche
La rue est blanche
et la fille voilée est blanche
Tu devines pourtant la chaleur de ses reins.

Le taureau

Le déjeuner sur la descente du col est un petit paradis.

l’eau descend violemment sur la pente abrupte de la prairie

et vient fournir aux mulets et aux vaches l’herbe et la fraîcheur.

Tout en bas, un immense troupeau de sonnailles

propres au suspens d’un film de cow-boys.

Claude, sanglier ardent a aménagé un bassin naturel

où les pêches et les raisins se glacent et se colorent.

Chaque écorce de melon est une petite barque sur l’eau rapide.

Il faut rejoindre la voiture en évitant les tourbières

où l’on risque de s’enfoncer jusqu’aux genoux.

Nous grimpons sur une éminence,

la route est toujours poudreuse et la voiture attend.

C’est à ce moment, dirait l’histoire,

que le récit devient épique

et digne des mémoires les plus rebelles.

Un taureau, un énorme taureau noir, veille.
Je ne dessinerai pas le taureau

parce que je ne saurais pas faire ses pattes.
Je me souviens seulement de son cou carré.

Plus tard nous admirerons ses parties qui pendent

comme une grande gourde fatiguée.

Pour le moment la masse noire impose
une stratégie.

Effectuer premièrement un large détour

utilisant de manière continue la murette de pierres
qui peut servir de refuge,

cacher immédiatement le bidon à eau, rouge sang

( il faudrait tout prévoir quand on achète ! )

en l’entourant d’un anorak d’un bleu plus apaisant ?

Dépasser l’animal, sans trop le regarder

avec une indifférence feinte de l’homme sûr de soi,
Ouvrir la voiture doucement du côté opposé.
Une fois protégé par la masse d’acier,

mettre le moteur en marche doucement

et aller chercher sa femme

et les bagages demeurés en arrière des lignes.
Il ne s’est même pas retourné,
la vache !

Le Taureau

Quand sortant du toril le taureau ébloui
de soleil découvre l’arène
il en fait le tour en trottant
longeant les barrières
Il sait qu’il va se battre
Le combat de la vie

Il le cherche joyeusement
Quand le taureau a passé la barrière
des champs
Il découvre l’herbe verte
et se couche de plaisir

Quand le taureau a traversé les buissons
de l’âge
Il voit un très grand champ plat,
blanc…
Il hésite…

Les “Vieilles”

Cheveux bleus et robes de jersey
Elles partent pour les Baléares
Elles espèrent un peu de soleil
Et puis des magasins, des
magasins, des magasins.
pour acheter des souvenirs à leurs enfants
Les «  vieilles ».

On dit

On dit qu’elle avait du chagrin
Je ne crois pas
Elle s’est jetée dans le canal

Les grandes filles toute simples
Qui peuplent les lycées avec
les petites chipies se sont
promenées vers l’eau de la rivière.

Lumière de l’âge

A la lumière de l’âge, il n’y a que la mort
J’aime l’olivier, symbole de moi-même :
Une lente agonie…


Le site de Geneviève ROUTHIER a été créé par

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Directeur de Création
de l’Agence «The Golden Noise »
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avec la participation de

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